dimanche 28 juin 2015

Harmonie avec l'univers



Je vous propose aujourd'hui deux textes taoïstes dans lesquels nous voyons à l'oeuvre la recherche de l'harmonie de l'homme avec la nature et l'univers.
Ce principe très important pour les philosophies chinoises tire son origine du Yi-king (le livre des changements) qui propose également de déterminer le temps opportun dans lequel une action doit se réaliser.




Voici d'abord un extrait du Huainan Zi, il s'agit du début intitulé " De la chaîne originelle" :

"Par son mutisme paisible, le gouvernement de la Suprême clarté rend le peuple harmonieusement conforme au ciel. D'un caractère authentique, simple et brut, il protège la sérénité de l'agitation et les déductions de la fausseté. Lorsqu'il s'applique à l'intérieur, il est uni au Dao, lorsqu'il s'étend à l'extérieur, il est en accord avec la justice. Quand il impulse un mouvement, il se réalise avec élégance, quand il décide d'agir, c'est à l'avantage des êtres. Sa parole concise est conforme aux principes, ses actes sans apprêt suivent les dispositions foncières des êtres. Son cœur insouciant est sans tromperie, ses affaires sont traitées simplement, sans fioritures. C'est pourquoi il ne choisit ni les moments ni les jours, il ne devine l'avenir au moyen de l'achillée et de la tortue. Il ne délibère point sur le commencement d'une entreprise, pas plus qu'il n'envisage son terme. Lorsque tout est paisible, il s'arrête, lorsque tout déferle, il agit. Il fait communiquer son corps avec le ciel et la terre, rend ses essences semblables au yin et au yang, et harmonieusement, ne fait qu'un avec les quatre saisons. Plus lumineux et éclatant que le soleil et la lune, il se comporte comme mâle et femelle avec ceux qui créent et transforment."






Un deuxième texte de Tchouang Tseu complète cette idée de l'harmonie, de l'adaptation et de l'unité :

"La mort et la vie, l'existence et la non-existence,
Le succès et l'échec, l'aisance et la pauvreté,
La vertu et le vice, la sagesse et l'ignorance,
La louange et le blâme, la soif et la faim,
Le chaud et le froid, se suivent,
se transforment sans cesse et forment le destin.
De même, jours et nuits se succèdent
Sans qu'on puisse savoir depuis quand.
Mais tous ces événements ne doivent perturber
Ni le corps ni l'esprit :
Il suffit jour après jour de garder son calme,
De vivre en paix avec les autres,
De s'adapter aux circonstances et, ainsi,
De développer ses dons naturels."



Terminons enfin avec Marc-Aurèle, qui nous incite lui aussi à l'harmonie avec la nature :

"Un instrument, un outil, un ustensile quelconque, s'il se prête à l'usage pour lequel il a été fabriqué, est de bon emploi et cela bien que le fabricateur soit alors absent. Mais s'il s'agit de choses qu'assembla la nature, la force qui les a fabriquées est en eux et y demeure. Voilà pourquoi il faut l'en révérer davantage et penser que, si tu te conduis et si tu te diriges selon son bon vouloir, tout en toi sera selon l'intelligence. Il en est de même pour le Tout, tout ce qu'il fait est conforme à l'intelligence."


dimanche 21 juin 2015

Les étoiles, un soir de juin



Une belle soirée nous attendait vendredi soir, en Chartreuse.
Bien  installés dans l'herbe, nous avons attendu l'arrivée de la nuit tout en pique-niquant tranquillement. Le soleil disparu, le ciel du couchant encore teinté de rose, nous avons repéré la lune et son clair de terre, magnifique au-dessus de l'horizon et tellement belle à travers les jumelles !
Et petit à petit, tandis que la nuit arrivait, les étoiles nous sont apparues. D'abord les planètes : Vénus si brillante et Jupiter, toutes deux dans le Lion. Et puis, de l'autre côté du ciel, Saturne s'est découverte dans le Scorpion. En nous laissant un doute au commencement : quand les étoiles sont isolées, pas facile de les reconnaître. Mais les constellations se sont montrées, de plus en plus nombreuses et nous avons pu nommer les étoiles en les repérant au-dessus de nous. Cette découverte progressive permet de les admirer une à une, en les découvrant petit à petit, avant que le ciel ne nous apparaisse couvert d'étoiles plus difficiles à distinguer les unes des autres.


Carte astrologique du ciel à 22h00 (le Soleil est sous l'horizon, la Lune, Jupiter et Vénus en Lion, Saturne en Scorpion bien visibles) 

Les apprentis astronomes comme les apprentis astrologues ont été comblés par cette observation guidée par Sylvie Lafuente Sampietro. Et les moments de silence montraient combien chacun était émerveillé par le spectacle offert. Le retour nous a ramenés progressivement à la lumière de la civilisation, avec l'impression d'être une belle communauté d'êtres humains ayant ensemble partagé la beauté de l'univers.

Et pour ceux d'entre vous qui n'ont pas eu la chance d'en être, voici un poème de John Milton qui retrace la création à la manière d'un poète... 



D'abord dans son orient se montra le glorieux flambeau,
Régent du jour; il investit tout l'horizon
De rayons étincelants, joyeux de courir
Vers son occident sur le grand chemin du ciel: le
Pâle crépuscule, et les Pléiades formaient des danses devant lui,
Répandant une bénigne influence. Moins éclatante,
Mais à l'opposite, Sur le même niveau dans l'ouest, la lune était suspendue ;
Miroir du soleil, elle en emprunte la lumière sur sa pleine face ;
Dans cet aspect, elle n'avait besoin
D'aucune autre lumière, et elle garda cette distance
Jusqu'à la nuit; alors elle brilla à son tour dans l'orient,
Sa révolution étant accomplie sur le grand axe des cieux: elle régna
Dans son divisible empire avec mille plus petites lumières,
Avec mille et mille étoiles ! elles apparurent alors
Semant de paillettes l'hémisphère qu'ornaient, pour la première fois,
Leurs luminaires radieux qui se couchèrent et se levèrent.
Le joyeux soir et le joyeux matin couronnèrent le quatrième jour.
   
John Milton, Paradis Perdu, chant VII





dimanche 14 juin 2015

Simple sagesse



Voici une histoire de sages. Deux à la fois, qui se mesurent et le résultat est bien sûr, à la hauteur de nos espérances.
Elle est contée par Jean-Claude Carrière dans "Le cercle des menteurs".




La nouvelle sagesse

Un sage, âgé de quatre-vingts ans, vivait dans la Chine du Nord. Il était le plus célèbre commentateur de la parole de Confucius et sa réputation s'élevait au-dessus de celle des autres sages. A une certaine période, on entendit soudain une rumeur, qui montait du Sud, selon laquelle un homme encore plus sage, encore plus profond, venait d'apparaître. Le vieux sage du Nord, trouvant cette idée intolérable, décida de se mettre en route pour vérifier la chose par lui-même.
Le chemin fut hasardeux et pénible. Après des mois d'efforts, il parvint enfin auprès du nouveau maître, il se présenta, et les deux hommes décidèrent de confronter leurs doctrines, pour décider laquelle leur paraissait la plus profonde.
Le vieil homme commença. Il lui fallut plusieurs heures pour exposer, avec calme et intelligence, les points principaux de son système. Quand il eut terminé, il demanda à l'homme du Sud, un bouddhiste de l'école appelée Zen, de faire connaître ses propres idées.
Le maître zen dit simplement ceci :
_ Eviter de faire le mal et faire le plus de bien possible.
Le vieux maître, en entendant ces mots, rougit et s'enflamma de colère.
_ Comment ! s'écria-t-il. A mon âge, j'ai affronté tous les dangers d'une longue route ! Je t'ai dit pourquoi je venais ! Je t'ai longuement exposé ma doctrine ! Je ne t'ai rien caché ! Et tu me donnes en échange une maxime insignifiante que tout enfant de trois ans connaît par cœur ! Est-ce que tu te moques de moi ?
Le maître zen lui répondit :
_ Non, je ne me moque pas de toi. Mais s'il est vrai que tout enfant de trois ans connaît par cœur cette maxime, cependant un homme de quatre-vingts ans est encore incapable d'y conformer sa vie.



dimanche 7 juin 2015

La vieillesse



Les mots de la vieillesse ne sont pas souvent lumineux. Mais quand je lis ce poème de José Luis Borges parlant de sa vieillesse, sa beauté et sa douce lumière me disent que c'est comme cela que ces mots doivent être !
Borges était aveugle sur la fin de sa vie et l'on comprend mieux ce qu'il nous dit en le sachant, mais peu importe : voilà un texte qui peut nous accompagner jusqu'au bout, tant il est l'expression de la vie elle-même.



"La vieillesse c'est le nom que les autres lui donnent, peut-être le nom de notre bonheur.
Je vis parmi des formes lumineuses et vagues qui ne sont pas encore les ténèbres.
Cette pénombre est lente et indolore
Elle coule sur une pente douce
Et ressemble à l'éternité
Mes amis n'ont pas de visage,
les femmes sont ce qu'elles furent il y a tant d'années.
Les carrefours peuvent être différents
Il n'y a pas de lettres sur les pages des livres.
Tout cela devrait m'effrayer
mais c'est une douceur, un retour.
Parmi les générations de textes qu'il y a sur la terre
je n'en n'aurai lu que quelques-uns,
Ceux que je continue à lire dans ma mémoire,
à lire et à transformer.
Du sud, de l'Est, de l'Ouest, du Nord, 
convergent les chemins qui m'ont conduit 
à mon centre secret.
Ces chemins furent des échos et des pas,
Des femmes, des hommes,
des agonies, des résurrections,
Des jours et des nuits
Des demi-rêves et des rêves.
Chaque infime instant du passé et des passés du monde, 
La solide épée du danois et la lune du perse,
l'amour partagé et et les mots, Emerson et la neige,
Et tant de choses ! A présent je peux les oublier
J'arrive à mon centre, à mon algèbre, à ma clé,
à mon miroir
Bientôt je saurai qui je suis."

J.L. Borges (Poèmes d'amour)