dimanche 26 juin 2022

Trouver sa liberté

 


Pour accéder à la liberté, il faut accepter de ne plus être tenu par la main et de ne plus dépendre de quelqu'un d'autre pour la conduite de notre vie. C'est ce que nous dit Kant dans le texte qui suit :

"Les lumières c'est la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même responsable. L'état de tutelle est l'incapacité de se servir de son entendement sous la conduite d'un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle, quand la cause tient, non pas à une insuffisance de l'entendement, mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s'en servir sans la conduite d'un autre.

"Sapere aude: aie le courage de te servir de ton propre entendement". Voilà la devise des lumières.

Paresse et lâcheté sont les causes qui font qu'un si grand nombre d'hommes, après que la nature les ait affranchis depuis longtemps d'une conduite étrangère, restent cependant volontiers toute leur vie dans un état de tutelle, et qui font qu'il est si facile à d'autres de se poser comme leur tuteur. Il est si commode d'être sous tutelle. Si j'ai un livre qui a de l'entendement à ma place, un directeur de conscience qui a de la conscience à ma place, un médecin qui juge à ma place de mon régime alimentaire..., je n'ai alors pas moi-même à fournir d'efforts. Il n'est pas nécessaire de penser dès lors que je peux payer. D'autres assumeront bien à ma place cette fastidieuse besogne."



Et puisque les chercheurs en neuroscience nous disent que notre cerveau travaille énormément lorsque nous sommes au repos, voici de quoi le faire travailler :

"Rêvons c'est l'heure.

Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise ...

C'est l'heure exquise.

Paul Verlaine



mardi 21 juin 2022

Manque de passion

 

Une leçon de Victor Hugo pour ceux qui existent sans vivre et n'ont pas la passion de ce qu'ils font : comment mieux dire le manque de désir ?

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front,
Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime,
Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime,
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.
C’est le prophète saint prosterné devant l’arche,
C’est le travailleur, pâtre, ouvrier, patriarche ;
Ceux dont le cœur est bon, ceux dont les jours sont pleins,
Ceux-là vivent, Seigneur ! les autres, je les plains.
Car de son vague ennui le néant les enivre,
Car le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre.
Victor Hugo (Les châtiments)



lundi 13 juin 2022

La fin d'un chat

 


J'ai retrouvé ce poème de Joachim du Bellay en épitaphe à son chat Belaud : j'aime beaucoup cette écriture imagée où l'on sent bien la tristesse du maître pour la perte de l'animal qui a partagé sa vie. Il nous parle depuis le XVIe siècle et nous sommes toujours sensibles à la disparition de son petit compagnon.

Épitaphe d’un chat de Joachim du Bellay


[...] J’ai perdu depuis trois jours
Mon bien, mon plaisir, mes amours.
Et quoi ? [...]
C’est Belaud mon petit Chat gris :
Belaud, qui fut par aventure
Le plus bel œuvre que Nature
Fit jamais en matière de Chats :
C’était Belaud la mort aux Rats,
Belaud, dont la beauté fut telle,
Qu’elle est digne d’être immortelle.


Petit museau, petites dents ;
Yeux qui n’étaient point trop ardents ;
Mais desquels la prunelle perse
Imitait la couleur diverse
Qu’on voit en cet arc pluvieux,
Qui se courbe au travers des Cieux ;
La tête à la taille pareille,
Le col grasset, courte l’oreille,
Et dessous un nez ébénin,
Un petit mufle léonin,
Autour duquel était plantée
Une barbelette argentée,
Armant d’un petit poil folet
Son musequin damoiselet ;

Tel fut Belaud, la gente bête,
Qui des pieds jusques à la tête,
De telle beauté fut pourvu,
Que son pareil on n’a point vu.
Ô quel malheur ! ô quelle perte,
Qui ne peut être recouverte !
Ô quel deuil mon âme en reçoit !



Mon Dieu ! quel passe-temps c’était
Quand ce Belaud virevoltait,
Folâtre autour d’une pelote !
Quel plaisir, quand sa tête sotte
Suivant sa queue en mille tours,
D’un rouet imitait le cours !
Ou quand, assis sur le derrière
Semblait, tant sa trogne était bonne,
Quelque Docteur de la Sorbonne !
[...]

Joachim Du Bellay

Ce poème est très long, je vous ai mis quelques extraits. 



Et puisque je parle de chats, je ne résiste pas au plaisir de retranscrire les vers de Baudelaire, tellement magnifiques :


Les chats de Charles Baudelaire

Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres ;
L’Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin ;

Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques,
Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.

Charles Baudelaire, Les fleurs du mal


Le tout est illustré par le magnifique zodiaque des chats de Myrrha.

lundi 6 juin 2022

La boussole du cœur


 J'ai trouvé ce texte dans le dernier livre de l'islandais Jon Kalman Stefansson : Ton absence n'est que ténèbres.

Un très beau roman, plein de belles histoires avec comme toujours chez lui, des petits moments de philosophie poétiques. En voici donc un, qui remet à l'honneur le choix entre le cœur et la raison :

"Où vas-tu donc comme ça, pasteur ?

Là où me conduit la boussole du cœur.

La boussole du cœur ? Voilà qui est joliment tourné.. Mais est-ce une bonne chose, crois-tu qu'il soit légitime, n'est-il pas hasardeux voire aberrant d'écouter cet organe ?

Tu n'es pas sans savoir qu'il est par essence indomptable et qu'il peut aisément se montrer destructeur si on ne le freine pas, si on ne tient pas solidement les rênes. Il n'hésite pas, à l'occasion, à briser les ménages et détruire les familles. Il n'hésite pas à préférer dissensions et obstacles à la sécurité, à la stabilité, celui qui écoute son cœur court le risque de blesser profondément ceux qui lui sont le plus proches. La modération est l'ancre de la vie, elle est harmonie. On trouve sa place dans l'existence et on s'y tient, en équilibre dans un monde instable. On supporte les chocs, les tentations et les séismes qui secouent le cœur. C'est ainsi qu'on se trouve un but dans la vie, et là, tout grandit, tout s'épanouit autour de vous et vous êtes béni. Pour le dire clairement, ce voyage est-il légitime ?

Sans doute que non. 

(...)


Serait-ce donc un péché, serait-ce une trahison que d'écouter son cœur, d'aller là où vous le commande l'aiguille tremblante de sa boussole, même si cela implique la fin du monde ?

Dites-nous, cheval, dites-nous, ciel, quelle est la solution, étouffer les voix du cœur dans l'espoir que le monde ne bougera pas d'un pouce ou s'accrocher aux sentiments, leur laisser le pouvoir et faire ainsi de son existence un saut dans le vide ? Etouffer le cœur, et donc se sacrifier, se trahir ou vivre en accord avec soi-même et suivre l'aiguille de la boussole ?

Il est écrit quelque part une chose qui fait figure de vérité : "Nul homme ne saurait vivre sans briser au moins une fois ses trésors."