dimanche 22 décembre 2019

Légende de Noël

Arrivée de Noël oblige : une légende s'impose.
Celle-ci est très classique puisqu'il s'agit de "L'étoile des mages".




"Le Jésus, ce n'est pas le grand large, c'est ce petit bout de nuit là-bas, avec une étoile, une seule... Et maintenant, regardez la nuit inondée d'étoiles ! Il y a des forces du monde. Voilà le secret."
Jean Giono (Le serpent d'étoiles).

Quand Adam vint sur le mont Nud en Perse, il logea de l'or, de l'encens et de la myrrhe dans une caverne creusée par les eaux. Le trésor attendrait là qu'un astre lumineux annonce la venue du Messie. En ce lieu, génération après génération, douze mages guettèrent le ciel en priant. Ils venaient d'Uruk, Ninive, Babylone, de Karnak, d'Akkad et de Sumer, de Chaldée, d'Egypte ou de Grèce. Ils étaient des veilleurs, consacrés à la science des astres et à l'art des présages, des mathématiciens célestes. Ils connaissaient le Rig-Veda de l'Inde, l'Avesta de la Perse, il avaient reçu de prêtres, érigeant des mégalithes, un savoir oublié.
Deux ans avant la naissance de l'enfant divin, confortés dans leurs prédictions, ils virent apparaître les signes attendus dans le ciel étoilé; le moment était venu de sortir les trois ors d'Adam de leur caverne. Ils s'approchèrent avec dévotion et transvasèrent précautionneusement l'or, l'encens et la myrrhe dans des jarres de terre blanche. Ils apprêtèrent une caravane comme on n'en n'avait jamais vu. Elle formait un cortège de chameaux, d'ânes et d'éléphants montés par d'alertes vieillards et de jeunes novices. Ils emportaient leurs bâtons ornés pour suivre les mouvements des astres, des parchemins roulés, des stèles couvertes de chiffres, des croix de toutes sortes.




Vue de l'Orient, la lumière causée par le croisement des planètes devint intense. Elle formait une image pareille aux vieilles légendes : une fille portant sur son sein un enfant assoupi. La caravane parvint aux portes de Jérusalem dans l'effervescence populaire. Le roi Hérode, inquiet des prophéties, fit venir les sages en grande pompe dans son palais. Le despote leur offrit spectacles et mets délicats, se fit doucereux, ami des sciences et faussement touché par la naissance du Messie. Il demanda aux sages de lui révéler, le moment venu, l'endroit, pour l'adorer lui aussi. Quand l'étoile, faite de plusieurs astres, eut dessiné dans le ciel d'étranges pas, la caravane reprit sa route, promesse faite au roi Hérode de venir le quérir dès l'apparition de l'enfant divin.
Or, voilà qu'un soir l'étoile s'arrête, se pose au-dessus d'une étable. Des bergers sont rassemblés, silencieux, autour d'un musicien. La flûte, qu'il a plantée dans le ciel, s'est tue. Du lait coule de ses lèvres.
A l'intérieur, on entend la respiration des bêtes et le babil d'un tout-petit. Les bergers s'écartent, les mages entrent et saluent Marie, Joseph et quelques autres, réunis. Ils ouvrent les jarres blanches et déposent dans la paille les trois ors d'Adam, puis s'agenouillent et bénissent, sourire aux lèvres, l'agneau du monde. La même nuit, plusieurs s'assoupissent et voient venir un ange qui leur commande de rompre la promesse faite à Hérode et de repartir sans délai, par un autre chemin. L'apparition sauva l'enfant.
Le roi Hérode, favori des Romains, obsédé par les complots imaginaires, craignait la venue d'un roi des Juifs. Il voulait tuer l'étoile. Comme nul ne vint le quérir, le cruel tyran ordonna l'holocauste des tout-petits. Il en fit périr soixante trois mille autour de Bethléem, petits astres qui montèrent, accompagnés de cris, des suppliques des mères, jusqu'aux blanches nourrices de la Voie lactée.
Entre-temps, l'ange était revenu prévenir Joseph de mener sans délai l'enfant et Marie en Egypte.
L'étoile s'en fut, sauve, escortée par ses parents. Elle foula les sables dorés, le front brillant, fit sur la terre comme au ciel, devint soleil.




Les mages s'étant séparés, chacun s'en alla porter la bonne nouvelle.
Le berger à la flûte s'en fut par les chemin secrets de l'errance, conter la nuit de l'étoile.

"Je suis la lumière qui illumine tout homme."
Évangile de Thomas, logion 77







Légende racontée par Patrick Fishmann


Je vous souhaite une belle fin d'année, pleine de belles légendes et de belles rencontres.

dimanche 15 décembre 2019

Christian Bobin



Christian Bobin était l'invité de La grande librairie cette semaine. C'est un bonheur de l'écouter parler, lui qui s'exprime comme il écrit. Je crois qu'il pense poétiquement. On parle d'habiter poétiquement le monde, Christian Bobin le pense poétiquement.
Alors bien sûr, il faut entrer dans son monde et se laisser porter par cette façon particulière de tout regarder et d'être présent mais on peut se laisser facilement envoûter.
J'ai retenu quelques phrases pour nous laisser écouter le silence entre les mots. Elles parlent de mélancolie, d'émerveillement, de musique mais aussi de l'amour et de la mort.




"Je ne fais que chanter. J'écoute aussi la conversation du tilleul avec le vent. Le fou rire des feuilles dans la petite brise du soir est un bon remède contre la mélancolie." Eloge du rien


"L'émerveillement n'est pas l'oubli de la mort, mais la capacité de la contempler comme tout le reste, comme l'amer et le sombre : dans la brûlure d'une première fois, dans la fraîcheur d'une connaissance sans précédent.
La fin de l'enfance est sans histoire. C'est une mort inaperçue de celui qu'elle atteint. C'est la plus grande énigme dans la vie, comme l'épuisement d'une étoile dont l'éclat ne cesse plus de ravir toutes vos heures, jusqu'à la dernière.
Il n'y a ni futur ni passé dans la vie. Il n'y a que du présent, qu'une hémorragie éternelle de présent."
La part manquante




"Mélancolie. Personne ne sait : les usines, les grandes étoffes noires des usines. Le miroir du ciel en deuil. La très sainte oisiveté bannie des grandes villes. Plus rien, plus personne.
La nudité du mot absence. Cette musique préférée de vous : des chants grégoriens, comme au bord de la mer, très proche de mourir. Cet art accompli du souffle et du silence, qui seul me permettait de vous atteindre.

Mettre un disque pour organiser l'absence. Glenn Gould joue des sonates de Haydn. Le disque est rayé au début de la sonate numéro 62. Dans le mouvement lent, il se produit quelque chose, un ratage. L'interprète oublie brusquement la musique, toute cette masse de musique depuis le premier soir du monde. Il joue à deux notes du silence. Il invente une émotion pure, effrayante, qui n'aurait avant cet instant emprunté aucun corps, sauf peut-être celui d'un simple d'esprit ou d'un fou." 

L'enchantement simple



"De la mort qui est ici chez elle, personne ne leur parle. ils sont les seuls à en dire quelque chose, toujours à l'improviste et à voix basse, comme s'il s'agissait d'une chose honteuse.
Ces gens dont l'âme et la chair sont blessées ont une grandeur que n'auront jamais ceux qui portent leur vie en triomphe." La présence pure


"Qui n’a pas connu l’absence ne sait rien de l’amour. Qui a connu l’absence a pris connaissance de son néant – de cette connaissance de son néant – de cette connaissance lointaine qui fait trembler les bêtes à l’approche de leur mort." Une petite robe de fête

dimanche 8 décembre 2019

Laissons les enfants...

Ce poème de Victor Hugo nous parle bien sûr de la mort de nos enfants mais "laissez les enfants mourir" nous parle aussi de les laisser vivre leur vie et devenir eux-mêmes, laissons les voler ! "Nos enfants ne sont pas nos enfants" disait Khalil Gibran, dont je cite le texte ensuite. Nous ne sommes que des passeurs, nous les parents, et c'est déjà beaucoup, laissons nos enfants mourir pour devenir l'avenir.




Aucune aile ici-bas n'est pour longtemps posée.
Quand elle était petite, elle avait un oiseau ;
Elle le nourrissait de pain et de rosée
Et veillait sur son nid comme sur un berceau.
Un soir il s'échappa. Que de plaintes amères !
Dans mes bras en pleurant je la vis accourir,...
Jeunes filles, laissez, laissez, ô jeunes mères,
Les oiseaux s'envoler et les enfants mourir !

C'est une loi d'en haut qui veut que tout nous quitte ;
Le secret du Seigneur, nous le saurons un jour.
Elle grandit. La vie, hélas ! marche si vite !
Elle eut un doux enfant, un bel ange, un amour.
Une nuit, triste sort des choses éphémères !
Cet enfant s'éteignit, sans pleurer, sans souffrir...Jeunes filles, laissez, laissez, ô jeunes mères,
Les oiseaux s'envoler et les enfants mourir !


Victor Hugo





Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit,
Parlez-nous des Enfants.
Et il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter,
pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux,
mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s'attarde avec hier.

Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini, et Il vous tend de Sa puissance
pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie;
Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime l'arc qui est stable.

Khalil Gibran (Le prophète)


Avant de leur laisser les clés de ce monde, souhaitons leur de réussir mieux que nous à le protéger et à lui redonner sa beauté. 

dimanche 1 décembre 2019

Se tourner vers le ciel

Nous partons aujourd'hui explorer le ciel avec deux poètes et deux visions bien différentes du monde !
Omar Khayyam est un savant qui vivait en Iran au XIe siècle. Je dis savant parce qu'il était tout à la fois philosophe, poète, mathématicien et astronome.
C'est le poète que j'honore ici avec ses quatrains auxquels son nom est associé, qui nous parlent de la vie, des femmes et du vin. Cela lui valut quelques problèmes avec les religieux de l'époque !
Avec lui, nous partons dans l'espace avec sa poésie un peu désabusée.



Le vaste monde : un grain de poussière dans l'espace
Toute la science des hommes : des mots
Les peuples, les bêtes et les fleurs des sept climats : des ombres
Le résultat de ta méditation : rien

Si je pouvais être le maître, comme Dieu,
Je saurais démonter le ciel au beau milieu.
Et je ferais alors, au milieu des étoiles,
Un autre ciel, où l'homme atteindrait tous ses voeux.

C'est à cause du Ciel que mon coeur est farouche.
C'est Lui qui déchirera mon bonheur en lambeaux.
L'air qu'il souffle sur moi m'est le feu d'un flambeau
Et l'eau a pris un goût de terre dans ma bouche.

Nous sommes des jouets entre les mains du Ciel
Qui nous déplace comme Il veut : c'est notre maître.
Au jeu d'échec, nous sommes des pions éternels
Qui tombent un à un tout au fond du non-être.

Cette céleste Roue à nos yeux suspendue
Est lanterne magique étonnant notre vue.
Du milieu, le soleil éclair la lanterne,
Et nous tournons autour, images éperdues.

De la ronde éternelle, arrivée et départ,
Le début et la fin échappent au regard.
D'où venons-nous, où allons-nous? Jamais personne
N'a dit la vérité là-dessus nulle part.


Omar Khayyâm - Les chants d'Omar Khayyâm



Avec Baudelaire, nous nous élevons aussi vers le ciel mais pour échapper au monde et finalement mieux le comprendre en y retournant :

Élévation

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les ésthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gayement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;

Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
- Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !

Charles Baudelaire