lundi 25 avril 2022

L'autre côté



La pensée de Jung a vraiment transformé notre façon d'imaginer le monde. Il existe un autre côté du monde, non perceptible directement par nos sens, mais qui a néanmoins une réalité profonde, voici ce qu'il nous disait dans ce petit texte extrait de L'âme et la vie :

"Il nous faut nous arrêter à cette crainte que nous, les occidentaux, entretenons à l'égard de l'autre côté. Il nous faut en effet nous avouer, en faisant abstraction du fait même qu'elle ait une réalité existante, qu'elle n'est pas dénuée de tout fondement. Nous n'avons aucune difficulté à comprendre la peur de l'enfant ou du primitif devant les mystères du vaste monde. Or, c'est la même peur que nous éprouvons sur le versant intérieur de notre être, où nous sommes encore pareils à des enfants balbutiants.

Ainsi, cette angoisse de l'autre côté, nous l'éprouvons comme une émotion, comme un affect, sans nous douter qu'elle est la peur d'un monde, monde qui nous demeure invisible. Envers ce dernier, nous avons tout au plus de simples préjugés théoriques, ou des représentations superstitieuses. Notre situation n'est vraiment pas enviable. Ainsi, nous ne pouvons même pas prononcer le terme d'inconscient devant certaines personnes, fussent-elles cultivées, sans nous voir aussitôt accuser de mysticisme. Or, il faut bien avouer que la peur de l'autre côté est fondée dans la mesure où notre conception rationnelle des choses avec ses sécurités morales et scientifiques auxquelles on s'accroche avec tant de passion, précisément parce qu'elles sont douteuses, se trouvent ébranlées par les données qui viennent de l'autre côté."

L'âme et la vie 'Jung)



Et qui plus est, la force de l'expérience intérieure nous permet de nous distinguer de l'ensemble des autre êtres qui nous entourent  et de nous affirmer : 

L'homme qui n'est pas ancré dans le divin n'est pas en état de résister, par la seule vertu de son opinion personnelle, à la puissance physique et morale qui émane du monde extérieur. Pour s'affirmer en face de ce dernier, l'homme a besoin de l'évidence de son expérience intérieure, de son vécu transcendant, qui seuls peuvent lui épargner l'inévitable glissement dans la masse collective."

Présent et avenir(Jung)

Pour lui, "L'humanité souffre d'une immense carence introspective."

Ne soyons pas pessimistes : un bout de chemin a déjà été accompli grâce à lui.



lundi 18 avril 2022

Force ou souplesse

Ne pas utiliser la force est un des grands principes des arts martiaux. Voici une histoire qui raconte comment un maître s'est converti :



Le cœur de saule

Le médecin Shirobei Akyama était parti en Chine pour étudier la médecine, l'acupuncture et quelques prise de Shuai-Chiao, la lutte chinoise.
De retour au Japon, il s'installe près de Nagasaki et se met à enseigner ce qu'il avait appris. Pour lutter contre la maladie, il emploie de puissants remèdes. Dans sa pratique de la lutte il utilise beaucoup sa force. Mais devant une maladie délicate ou trop forte, ses remèdes sont sans effets. Contre un adversaire trop puissant, ses techniques restent inefficaces. Un à un ses élèves l'abandonnent. Shirobei, découragé, remet en question les principes de sa méthode. Pour y voir plus clair, il décide de se retirer dans un petit temple et de s'imposer une méditation de cent jours. 
Pendant ses heures de méditation, il bute contre la même question, sans pouvoir y répondre :"Opposer la force à la force n'est pas une solution car la force est battue par une force plus forte. Alors, comment faire ?"
Or un matin, dans le jardin du temple où il se promène, alors qu'il neige, il reçoit enfin la réponse tant attendue : après avoir entendu les craquement d'une branche de cerisier qui cassa net sous le poids de la neige, il aperçoit un saule au bord de la rivière. Les branches souples du saule ploient sous la neige jusqu'à ce qu'elles se libèrent de leur fardeau. Elles reprennent alors leur place, intactes.
Cette vision illumine Shirobei. Il redécouvre les grands principes du Tao. Les sentences de Lao-Tseu lui reviennent en tête :

Qui se plie sera redressé
Qui s'incline restera entier

Rien n'est plus souple que l'eau
Mais pour vaincre le dur et le rigide
Rien ne la surpasse

La rigidité conduit à la mort
La souplesse conduit à la vie 

le médecin de Nagasaki réforme complètement son enseignement qui prend alors le nom de Yoshinryu, l'école du cœur de saule, l'art de la souplesse, qu'il apprendra à de nombreux élèves."



Dans le même esprit, voici une énigme de Wang Chung Yueh :

"Lorsqu'un vieillard  déplace un poids énorme ou résiste avec succès à plusieurs jeunes gens, ce n'est évidemment pas une affaire de force; et comment cela peut-il se faire grâce à la rapidité ?"




Intéressante remarque qui donne à réfléchir. 
L'histoire du cœur de saule a son pendant en France avec la fable du chêne et du roseau de La Fontaine.
Comme quoi, nous avons là un principe universel qui mériterait d'être rappelé !



lundi 11 avril 2022

Lion tout puissant

 


Une fable sur le pouvoir et et l'entourage du pouvoir : nous sommes dans l'actualité.  Avec une morale toujours valable pour les souverains d'aujourd'hui.



La Cour du Lion


Sa Majesté Lionne un jour voulut connaître
De quelles nations le Ciel l'avait fait maître.
Il manda donc par députés
Ses vassaux de toute nature,
Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture,
Avec son sceau. L'écrit portait
Qu'un mois durant le Roi tiendrait
Cour plénière, dont l'ouverture
Devait être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin.
Par ce trait de magnificence
Le Prince à ses sujets étalait sa puissance.
En son Louvre il les invita.
Quel Louvre ! Un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord au nez des gens. L'Ours boucha sa narine :
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L'envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le Singe approuva fort cette sévérité,
Et flatteur excessif il loua la colère
Et la griffe du Prince, et l'antre, et cette odeur :
Il n'était ambre, il n'était fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succès, et fut encore punie.
Ce Monseigneur du Lion-là
Fut parent de Caligula.
Le Renard étant proche : Or çà, lui dit le Sire,
Que sens-tu ? Dis-le-moi : parle sans déguiser.
L'autre aussitôt de s'excuser,
Alléguant un grand rhume : il ne pouvait que dire
Sans odorat ; bref, il s'en tire.
Ceci vous sert d'enseignement :
Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère,
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand.

Jean de La Fontaine. Livre VII



mardi 5 avril 2022

Fin de Rimbaud


 Je reviens sur le livre de Sylvian Tesson : Un été avec Rimbaud. Voici sa conclusion qui résume la vie du poète mais aussi un peu la nôtre :

"Les soirs de tristesse, je vous donne l'amical conseil de penser à Rimbaud qui ne sut pas sa chance de pouvoir marcher debout. Oui, Arthur, tu aurais dû emporter Les contemplations de Hugo avec toi à Aden. Elles existaient. Le vieux génie à barbe blanche dont tu te moquais un peu quand tu n'étais pas sérieux et que tu avais dix-sept ans - et que tu le trouvais trop cabochard - l'avait compris avant toi. La vie est terrible, elle passe, on la croit longue. Un jour on regrettera de ne pas l'avoir davantage aimée.


Hugo :

Tout vient et passe; on est en deuil, on est en fête;

On arrive, on recule, on lutte avec effort ...-

Puis, le vaste et profond silence de la mort !

Toi, tu as choisi d'aller vite, tu as fait la météorite. Tu n'aurais pas dû manquer si désinvoltement ton unique matinée de printemps ! Et à présent tu vas mourir, et tu écris à ta sœur : "J'irai sous la terre et toi, tu marcheras sous le soleil !"( 4 octobre 1891, lettre d'Isabelle à sa mère). 

L'enfer, Arthur, c'est de laisser passer sa saison.

Les illuminations, c'est quand on l'a compris. 

"Trop tard", dit la vie en souriant.