Dans "Un été avec Rimbaud, Sylvain Tesson explore les images qui surgissent des poèmes de Rimbaud. Ces deux-là s'entendent merveilleusement et la lecture est réjouissante.
En voici quelques extraits :
"Que buvais-je, à genoux dans cette bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers
Dans un brouillard d'après-midi tiède et vert ?" (Délires II, Une saison en enfer)
Je ferme les yeux et je vois un chevalier préraphaélite encore intact avant l'orgie.
"Que leurs forces soient en paix
en attendant le bain dans la mer à midi." (Délires II, Une saison en enfer)
Je vois des spartiates d'acier plantés dans un soleil de marbre.
"Ah l'enfance, l'herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonnait douze..."
(Nuit de l'enfer, Une saison en enfer)
Je vois de gros enfants de Renoir qui croient vainement à l'éternité de leur âge d'or joufflu.
"Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie." (Adieu, Une saison en enfer)
Là c'est le bleu baroque d'un grand peintre du Siècle espagnol dans un musée très vide.
"Sur la pente du talus les anges tournent leur robe de laine dans les herbages d'acier et d'émeraude.
Des prés de flammes bondissent jusqu'au sommet du mamelon." (Mystique, Illuminations)
Là, la sainte vision d'une petite bergère de Lourdes tourmentée dans sa grotte par ses hormones, c'est-à-dire par le Christ.
"L'œil écoute" : cette expression de Paul Claudel décrit la lecture des vers de Rimbaud, poèmes de la vision. Le monde du poète existe parce que Rimbaud le voit. Non seulement l'œil écoute, mais il crée ce qu'il regarde. Le réel émane de sa représentation, vieille intuition gnostique.
Par effet opposé, le poète ferme les yeux et tout s'éteint. les paupières servent à tirer le rideau sur l'horreur du monde. Pour preuve, ces quelques vers de Rêvé pour l'hiver :
Tu fermeras l'œil pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.
D'autres fois, à l'inverse, on ferme les yeux pour faire jaillir les images. "Quand on voyage, on devrait fermer les yeux", savait Blaise Cendrars (Prose du Transsibérien). La paupière, petit écran de chair, reçoit alors la projection du cinéma intérieur.
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