dimanche 6 décembre 2015

Terre Mère

Quelle est notre relation à la nature ? Jusqu'où pouvons-nous aller pour la transformer ?
Beaucoup ne se posent pas la question et ont de tous temps fait ce qui leur semblait le mieux pour eux, sans souci de la terre qui les nourrit.
D'autres cependant, tels les Amérindiens pour qui la Terre-Mère est la déesse qu'il faut respecter comme une mère ne comprennent pas que l'on puisse l’abîmer et pensent qu'elle peut en retour exprimer sa colère.





" Vous me demandez de labourer la Terre ! Prendrai-je un couteau pour déchirer le sein de ma mère ? Alors, quand je mourrai, elle ne me prendra pas dans son sein pour que j’y repose. Vous me demandez de creuser pour extraire des pierres ! Creuserai-je sous sa peau pour prendre ses os ? Alors, quand je mourrai, je ne pourrai pas entrer dans son corps pour naître de nouveau. Vous me demandez de couper l’herbe, d’en faire du foin et de le vendre, et de m’enrichir comme les hommes blancs. Mais comment oserais-je couper la chevelure de ma mère ? »
L’idée que la Terre est la mère de tout ce qui existe est le fondement, non seulement  de la religion de[/du chef] Smohalla, mais de la pensée religieuse des tribus Indiennes […] Pour la pensée Indienne, le maïs, les fruits, les racines comestibles sont les dons  que la Terre Mère donne avec générosité à ses enfants. Lacs et étangs sont ses yeux, les collines, ses seins, et les torrents, le lait qui coule à flots de sa poitrine. Tremblements de terre et bruits souterrains sont les signes de sa colère quand ses enfants agissent mal.
James Mooney. La Religion de la Danse des Esprits et la révolte Sioux de 1890 (passage cité par A-M Marina-Mediavilla, 1998, dans sa préface de Colline de Giono).


Plus près de nous, je redécouvre Jean Giono, que j'ai lu il y a déjà pas mal d'années,  romancier de la terre qui savait nous raconter la vie des campagnes avec bonheur. Lui aussi était un amoureux de la nature, saisi parfois de terreur à l'idée que la terre vivante pourrait se rebeller contre le paysan qui la modifie :

Pour la première fois, il pense, tout en bêchant, que sous ces écorces monte un sang  pareil à son sang à lui : qu’une énergie farouche tord ces branches et lance ces jets d’herbes dans le ciel. […]
Ainsi, autour de lui, sur cette terre, tous ses gestes font souffrir ?
Il est donc installé dans la souffrance des plantes et des bêtes ?
Il ne peut donc pas couper un arbre sans tuer ?
Il tue, quand il coupe un arbre.
Il tue quand il fauche…
Alors, comme ça, il tue tout le temps ? Il vit comme une grosse barrique qui roule en écrasant tout autour de lui ?
C’est donc tout vivant ?
Janet l’a compris avant lui.
Tout : bêtes, plantes, et, qui sait ? peut-être les pierres aussi.
Alors, il ne peut plus lever le doigt sans faire couler des ruisseaux de douleur ?
Il se redresse : appuyé sur le manche de l’outil, il regarde la grande terre couverte de cicatrices et de blessures.

Cette terre !
Cette terre qui s’étend, large de chaque côté, grasse, lourde, avec sa charge d’arbres et d’eaux, ses fleuves, ses ruisseaux, ses forêts, ses monts, ses collines, et ses villes rondes qui tournent au milieu des éclairs, ses hordes d’hommes cramponnés à ses poils, si c’était une créature vivante, un corps ? […]
Ce val, ce pli entre les collines, où je suis en train de gratter, s’il allait bouger sous le coupant de ma bêche ?
Un corps !
Avec de la vie ! […]
Une vie immense, très lente, mais terrible par sa force révélée, émeut le corps formidable de la terre, circule de mamelons en vallées, ploie la plaine, courbe les fleuves, hausse la lourde chair herbeuse.
Tout à l’heure, pour se venger, elle va me soulever en plein ciel jusqu’où les alouettes  perdent le souffle.

Jean Giono  - Colline



Cette relation que nous avons à la nature et ce regard que nous portons sur elle est un échange. Et comme le dit si justement Martin Buber : "Ne cherchez pas à établir le sens de cette relation. Toute relation est réciprocité."

"Je considère un arbre : je peux le percevoir en tant qu'image, pilier rigide sous l'assaut de la lumière ou verdure jaillissante inondée de douceur. Je peux le sentir comme un mouvement, réseau gonflé des vaisseaux, succion des racines, respiration des feuilles, échange sans fin de la terre et du ciel, et cette obscure croissance elle-même.
Je peux le ranger dans une espèce, voir en lui un exemplaire sur lequel j'étudierai la structure et les modes de la vie.
Je peux annihiler si durement son existence au régime formel que je ne voie plus en lui que l'expression d'une loi.
Je peux le volatiliser et l'éterniser en le réduisant à un nombre, à un pur rapport numérique.
L'arbre n'a pas cessé d'être. Il a gardé sa place dans l'espace et le temps, sa nature et sa façon d'être, la puissance de ce qu'il a d'unique m'a saisi. Il n'est rien dont je ne doive faire abstraction pour le voir, rien que je doive oublier, au contraire. L'image et le mouvement, l'espèce et l'exemplaire, la loi et le nombre, tout a sa place dans cette relation, tout y est indissolublement uni.
Ce n'est pas une impression que cet arbre, ni un jeu de ma représentation, ni une valeur émotive. Il dresse en face de moi sa réalité corporelle. Il a affaire à moi, comme j'ai affaire à lui, mais d'une autre manière."
Martin Buber - Le je et le tu

Réfléchir et reconsidérer notre relation à la nature : le sujet est vaste mais plus puissant que de vouloir sauver l'humanité en réduisant ses déchets.




Les textes m'ont été inspirés par Jean-Claude Ameisen (une nouvelle fois !). 

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