Quand Matthieu Ricard nous raconte ses années passées dans son ermitage de l'Himalaya, son expérience prend un goût d'aventure extrême comparée à notre vie en occident.
On peut se dire qu'une cabane avec une vue dégagée sur toute la chaîne de l'Himalaya apporte quelque chose de grandiose et d'intemporel, il n'empêche que vivre des mois, voire des années retiré dans cet endroit peut paraître incroyable.
Matthieu Ricard se situe dans la lignée des ermites qui de tous temps, ont ainsi questionné leur existence et le sens de leur vie, que ce soit pour quelques mois, quelques années ou une grande partie de leur vie. Voici ce qu'il nous dit à propos des ermites :
"La vocation de l'ermite est souvent mal comprise. L'ermite ne se retire pas du monde parce qu'il se sent rejeté, parce qu'il n'a rien trouvé de mieux à faire que d'errer dans les montagnes ou parce qu'il est incapable de faire face à ses responsabilités. S'il prend cette décision qui peut paraître extrême, c'est qu'il s'est rendu compte qu'il ne peut pas contrôler son esprit et résoudre le problème du bonheur et de la souffrance au milieu des activités sans fin de la vie ordinaire, aussi futiles que distrayantes. Il ne fuit pas le monde, il prend ses distances par rapport à lui pour le mettre en perspective et mieux percevoir son fonctionnement. Il ne fuit pas non plus ses semblables, il a besoin de temps pour cultiver l'amour et la compassion authentiques que n'affecteront pas les les préoccupations ordinaires comme le plaisir et le déplaisir, le gain et la perte, la louange et le blâme. Comme le musicien qui fait ses gammes ou l'athlète qui entraîne son corps, il lui faut du temps, de la concentration et une pratique assidue pour maîtriser son esprit chaotique, pénétrer le sens de la vie, puis mettre sa sagesse au service des autres. Sa devise pourrait être : "Se transformer soi-même pour mieux transformer le monde."
Les situations agitées de la vie ordinaire, en effet, rendent très difficile le progrès dans la pratique, et pour développer sa force intérieure, il est préférable de se consacrer uniquement à à l’entraînement de l'esprit pendant le temps qui sera nécessaire. L'animal blessé se cache dans la forêt pour guérir de ses blessures avant de pouvoir gambader à nouveau comme il lui plait. Nos blessures à nous, ce sont celles de l'égoïsme, de la malveillance, de l'attachement, et des autres toxines mentales.
L'ermite ne "pourrit" pas dans sa cellule, comme certains l'ont écrit. Ceux qui ont fait l'expérience de ce dont ils parlent vous diront plutôt qu'il mûrit dans son ermitage. Pour celui qui demeure dans la fraîcheur de la pleine conscience du moment présent, le temps n'a pas la lourdeur des jours passés dans la distraction, mais la légèreté du vécu pleinement savouré. Si l'ermite perd le goût de certaines préoccupations ordinaires, ce n'est pas que son existence est devenue insipide, c'est qu'il reconnait, parmi toutes les activités humaines possibles, celles qui contribuent véritablement à son propre épanouissement et au bonheur des autres."
Et la parole d'un de ces ermites éclaire son propos :
"Si tu aspires à la solitude des montagnes,
D'accueillantes grottes s'ouvrent au flanc des falaises
Sous les sommets drapés de brume.
Demeurer seul dans ces ermitages
Est source, à court et à long terme, d'une indicible joie."
Kalden Gyatso (1607-1677)
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