Pour les vacances, voici une petite histoire, racontée par jean-claude Carrière. Comme toujours, nous dit-il, la sagesse est contradictoire et les bonnes histoires se retournent comme des gants.
Voici ce que nous dit une histoire soufi à propos de la prononciation correcte du sacré.
Un derviche de bonne réputation marchait pensif le long d'un fleuve, quand il entendit une voix humaine qui chantait un hymne sacré. mais au lieu de prononcer correctement les syllabes YA HU, la voix prononçait U YA HU.
Le derviche jugea qu'il était de son devoir de corriger cette imperfection. Il loua un bateau et rama jusqu'à une petite île, au milieu du fleuve, d'où lui parvenait la voix du chanteur. Dans une hutte de roseaux, il trouva un homme pauvrement vêtu qui psalmodiait ses prières et qui se trompait.
Le derviche le corrigea aimablement. L'autre le remercia en toute humilité.
Ils se séparèrent. Le derviche regagna son bateau et rama vers la rive. Il avait l'âme satisfaite, conscient d'avoir accompli une très bonne action. Car il est dit qu'un homme qui chante correctement les textes sacrés peut marcher sur les eaux. Cet exploit, toute sa vie, le derviche avait souhaité pouvoir l'accomplir. mais vainement.
Alors qu'il se trouvait au milieu du fleuve, la voix du chanteur, un instant interrompue, s'éleva de nouveau dans la petite île. Mais l'homme persistait dans sa prononciation incorrecte et il chantait U YA HU.
Le derviche, dans la barque, laissa tomber les avirons, saisi par le découragement, et entreprit de réfléchir sur la perversité de la nature humaine. Il entendit alors une voix qui l'appelait. Il se retourna. Il vit le chanteur solitaire qui criait :
_ Attends-moi ! Attends-moi ! J'ai quelque chose à te demander !
Quittant la petite île, l'homme s'élança sur les eaux du fleuve. Il marchait véritablement sur les eaux. Il parvint jusqu'au bord de la barque et dit à l'autre :
_ Mon frère, pardonne-moi. Ma mémoire est affaiblie. J'ai déjà oublié la prononciation correcte. Peux-tu me la dire encore une fois, je te prie ?