J'ai terminé le livre d'Emmanuel Carrère : sa prose se lit très bien et même si ce n'est pas un roman, on est pris par la lecture de ses aventures . Il parle beaucoup de lui, de ses expériences, je ne vais pas en reparler ici. J'ai trouvé au hasard des pages cette histoire qu'il raconte et qu'il dit beaucoup aimer. Moi aussi, je vous l'ai recopiée :
"C'est un voleur qui a entendu parler du trésor que les moines gardent dans une pièce cachée de leur monastère. Espérant faire main basse sur ce trésor, il entre comme homme de peine au monastère.
Pendant dix ans, il balaie la cour, ramasse les ordures, accomplit les tâches les plus humbles, tout en furetant dans le monastère, en prêtant l'oreille aux conversations des moines, en cherchant où pourrait bien se trouver la pièce au trésor.
Au bout de dix ans, il a mis tant de zèle au service de sa cupidité que le père abbé lui propose le noviciat. Il reste novice encore dix ans, toujours furetant, épiant, se tenant aux aguets, de plus en plus obsédé par le trésor. Dix ans encore, et il prend les ordres, et il dit ses prières, jour après jour, en espérant trouver le trésor et se barrer avec. C'est ainsi qu'il devient un grand saint, et c'est seulement à la fin de sa vie, sur son lit de mort, qu'il comprend que le trésor c'était cela : sa vie au monastère, ses prières, son entente avec les autres frères, et que s'il y a accédé, c'est parce qu'il était un voleur."
Une belle leçon !
Et en voici une autre, qui n'est pas dans le livre d'Emmanuel Carrère. On y retrouve les mêmes personnages dans un temple japonais mais le moine par sa grande sagesse va réussir à ébranler le voleur :
"En ce temps-là, vivait aux environs de Heian-Kyo, dans un temple
perdu dans la forêt, un moine connu pour sa grande sagesse, nommé
Shichiri Kojun. Ce soir-là, le saint homme était seul. Il récitait des
sûtras au pied d’une statue du bouddha. Soudain, la porte du temple
s’ouvre à la volée. Un homme d’aspect effrayant, grossièrement vêtu,
fait irruption dans la salle de prière. II met sur la gorge de Shichiri
sa longue épée effilée : « Moine, donne-moi l’argent des offrandes ou je te coupe la tête et la fais rouler au pied des autels. »
Shichiri était installé en Siddhasana (la posture de méditation), le
dos droit, les genoux repliés, il garda la position et pas un muscle de
son visage ne tressaillit : « Prends l’argent qui est dans le vase des offrandes, ne me dérange pas dans mes prières. »
Et il reprit la récitation des sûtras.
Le voleur se dirigea vers l’endroit indiqué et commença à remplir ses
poches. Dans sa hâte, il faisait tinter les pièces, et parfois un juron
lui échappait quand l’une d’elles roulait sur le sol. Il fallait
reconnaître qu’il était embarrassé par sa grande épée.
Au bout d’un moment, sans tourner la tête, le moine déclara: « Ne prends pas tout l’argent, je dois payer l’impôt du temple demain matin. »
Le voleur, impressionné par la fermeté de la voix et le sang-froid
imperturbable du moine, laissa en maugréant un peu d’argent au fond du
vase des offrandes. II s’en allait avec son butin lorsque le moine dit
encore : « Quand on reçoit un présent, on doit remercier, fais-le ! »
Le voleur subjugué marmonna un vague merci et disparut.
Un an plus tard, le voleur fut arrêté. II avoua, entre autres
méfaits, le vol commis au temple, crime qui était puni de mort.
Confronté au moine, il l’entendit avec stupeur déclarer : « Moi,
Shichiri, je déclare que cet homme n’a pas profané le temple, je lui ai
donné une grande partie de l’argent des offrandes, et il m’a remercié,
tout est en ordre. » Le voleur fut condamné à cinq ans de prison seulement.
Quand il fut libre, il vint trouver Shichiri dans le temple perdu
dans la forêt et il devint son disciple. Dans les années qui suivirent,
les visiteurs et les pèlerins admirèrent sa profonde piété. Ainsi a-t-il
été rapporté des histoires du passé.