dimanche 20 décembre 2015

Joyeuse fin d'année

Voici un conte de sagesse pour finir l'année. Il nous fait voyager et réfléchir, bien sûr.
Je vous souhaite une belle fin d'année et beaucoup de contes de Noël !





Cinquante écus de sagesse
Conte d'origine soufie rapporté par Henri Gougaud

Il était une fois un village où les gens se disputaient sans cesse. L'un disait-il bonjour, l'autre lui répondait que le jour n'était pas aussi bon qu'il le prétendait, un troisième estimait qu'il pleuvrait avant le soir tombé, un quatrième braillait que ces supputations météorologiques lui cassaient les oreilles. Bref, ces gens n'étaient d'accord sur rien, sauf sur le fait d'être tous en désaccord.

Or un soir, comme passait un ange sous l'orme de la place, un vieux dit calmement : « Nous manquons de sagesse ». Chacun convint que la raison n'habitait pas chez le voisin d'en face. Pour la première fois on se prit à réfléchir. Le vieux profita de cette marée basse pour avancer une idée qui le tarabustait depuis que sa moitié lui avait cassé le nez d'un coup de poêle à frire. « Mes amis, dit-il, je connais bien Venise, c'est une ville sainte. La sagesse y pousse aussi dru que le chiendent chez nous. Allons en acheter. Nous la cultiverons, et nous vivrons en paix. » Les hommes convinrent qu'en effet quelques graines d'esprit ne seraient pas de trop dans le jardin public. Ils décidèrent donc, puisque dans cette ville on trouvait à profusion de cette denrée rare, d'y faire leur marché. Trois d'entre eux furent désignés. On leur donna cinquante écus, un sac à provisions, une barque, et dès l'aube du lendemain, ils hissèrent la voile. 



A peine débarqués à Venise, ils coururent après les gens. « Hé, monsieur, hé, madame, auriez-vous de la sagesse à vendre ? » On les crut fous, on haussa les épaules.
Tout le jour ils coururent les places et les ruelles. Au soir, comme ils interrogeaient une servante sourde dans un recoin de taverne, un malandrin vint s'asseoir à leur table. « De la sagesse ? dit-il. J'en vends. Il m'en reste un coffret. Je peux vous le céder pour cinquante écus d'or. C'est donné. » Les autres lui tendirent leur bourse. L'escroc s'en fut dans l'arrière-cuisine, attrapa une souris, la fourra dans une boîte, revint et dit aux trois compères : « Ne soulevez pas ce couvercle avant d'être chez vous. La sagesse est dedans. Son parfum est fragile, craignez qu'il ne s'évente. Bon retour, heureux hommes ! » Les trois godelureaux s'en furent satisfaits, chacun voulant porter leur trésor sous le bras.
Le lendemain, ils reprirent la mer. Or comme ils naviguaient : « Puisque cette sagesse doit être partagée, dit l'un, j'ai envie d'en flairer l'odeur, en guise de hors d'oeuvre ». « Bonne idée. Moi aussi », répondit le deuxième. Le troisième ouvrit donc la boîte. La souris aussitôt bondit dehors et bientôt disparut dans le fond du navire. Les hommes lui coururent après. Ce fut en vain. Ils débarquèrent au village penauds comme des pénitents. Ils avouèrent tout. « La sagesse ? On aurait dit un rat. Elle nous a échappé. Elle s'est cachée quelque part dans la cale. »




On gronda autour d'eux. On leva des bâtons. Alors le vieux ouvrit les bras et dit :
« La sagesse, messieurs, est là dans ce bateau. C'est le point essentiel. Tirons-le donc au sec. Qu'on monte la garde autour de lui afin qu'elle n'en sorte pas, et nous irons tous les dimanches dans ce temple nouveau nous imprégner de son parfum. Ainsi nous deviendrons des gens estimés de Dieu. » Ils firent ainsi.

Et de ce jour, chacun redoutant l’œil pointu du voisin, ils prétendirent tous avoir le nez sensible et ne parlèrent plus, sereins comme des papes, que de beautés profondes. 



dimanche 13 décembre 2015

L'année 2016

La conférence du 4 décembre était l'occasion pour Sylvie Lafuente Sampietro de nous livrer sa vision de l'année 2016 à travers le prisme de l'astrologie mondiale. Et nous avons assisté à une très belle conférence vendredi dernier : riche, passionnante et pleine d'enseignements sur les enjeux qui attendent notre monde.




Sylvie Lafuente Sampietro nous a d'abord campé les personnages qui vont intervenir dans cette histoire (Les personnages sont incarnés par les planètes, qui en astrologie mondiale représentent les différentes parties de notre inconscient collectif).
L'alchimiste (Pluton), l'idéologue (Neptune), le révolutionnaire (Uranus), l'organisateur (Saturne), l'amplificateur (Jupiter) et le combattant (Mars) sont donc les protagonistes de notre théâtre.
Entre eux, bien évidemment, se tissent des relations. En 2016, beaucoup de ses relations sont tendues et nous en voyons les conséquences au plan mondial. 
Nous aurons encore cette année une forte poussée de l'alchimiste et du révolutionnaire, qui nous entraînent avec force et violence vers le futur et un monde nouveau depuis 2012. S'y ajoutent une crise idéologique et humaniste et une crise de conscience au sujet de nos projets de développement qui sur un plan positif devraient nous aider à aller dans le sens du futur et du renouveau.




Pour aller vers le nouveau monde qui est en train de naître, nous avons un cap délicat à franchir.
Les relations entre les protagonistes nous demandent pourtant d'aller vers le futur et de nous engager. Mais nous sommes en guerre, une guerre qui va durer et pour laquelle il nous faut trouver de nouvelles méthodes d'action.
Le titre de cette conférence était : "Réfléchir et se réorienter", alors qu'en 2015, nous devions "Agir en toute lucidité".
Le titre fait référence aux positions des planètes entre elles. Il concerne donc nos objectifs pour l'année, au niveau collectif mais aussi au niveau individuel. Réfléchir, revenir à l'essentiel, clarifier nos idéaux et nos projets, nous réorienter en étant créateurs, voilà ce qui nous est demandé en cette année qui va bientôt commencer. A chacun de nous de nous poser ces questions qui vont également interroger les états et le monde. Nous sommes tous sur le même vaisseau terre et nous sommes tous partie prenante de son aventure.


"Juger, c'est de toute évidence ne pas comprendre puisque, si l'on comprenait, on ne pourrait pas juger." André Malraux




Si vous n'avez pu suivre cette conférence, vous pouvez :
- louer le CD à l'association et l'écouter chez vous
- aller à Paris le 16 janvier pour écouter Sylvie Lafuente Sampietro présenter à nouveau cette conférence à l'Arbre aux oiseaux (60 rue Saint-Sabin 75011 Paris).

dimanche 6 décembre 2015

Terre Mère

Quelle est notre relation à la nature ? Jusqu'où pouvons-nous aller pour la transformer ?
Beaucoup ne se posent pas la question et ont de tous temps fait ce qui leur semblait le mieux pour eux, sans souci de la terre qui les nourrit.
D'autres cependant, tels les Amérindiens pour qui la Terre-Mère est la déesse qu'il faut respecter comme une mère ne comprennent pas que l'on puisse l’abîmer et pensent qu'elle peut en retour exprimer sa colère.





" Vous me demandez de labourer la Terre ! Prendrai-je un couteau pour déchirer le sein de ma mère ? Alors, quand je mourrai, elle ne me prendra pas dans son sein pour que j’y repose. Vous me demandez de creuser pour extraire des pierres ! Creuserai-je sous sa peau pour prendre ses os ? Alors, quand je mourrai, je ne pourrai pas entrer dans son corps pour naître de nouveau. Vous me demandez de couper l’herbe, d’en faire du foin et de le vendre, et de m’enrichir comme les hommes blancs. Mais comment oserais-je couper la chevelure de ma mère ? »
L’idée que la Terre est la mère de tout ce qui existe est le fondement, non seulement  de la religion de[/du chef] Smohalla, mais de la pensée religieuse des tribus Indiennes […] Pour la pensée Indienne, le maïs, les fruits, les racines comestibles sont les dons  que la Terre Mère donne avec générosité à ses enfants. Lacs et étangs sont ses yeux, les collines, ses seins, et les torrents, le lait qui coule à flots de sa poitrine. Tremblements de terre et bruits souterrains sont les signes de sa colère quand ses enfants agissent mal.
James Mooney. La Religion de la Danse des Esprits et la révolte Sioux de 1890 (passage cité par A-M Marina-Mediavilla, 1998, dans sa préface de Colline de Giono).


Plus près de nous, je redécouvre Jean Giono, que j'ai lu il y a déjà pas mal d'années,  romancier de la terre qui savait nous raconter la vie des campagnes avec bonheur. Lui aussi était un amoureux de la nature, saisi parfois de terreur à l'idée que la terre vivante pourrait se rebeller contre le paysan qui la modifie :

Pour la première fois, il pense, tout en bêchant, que sous ces écorces monte un sang  pareil à son sang à lui : qu’une énergie farouche tord ces branches et lance ces jets d’herbes dans le ciel. […]
Ainsi, autour de lui, sur cette terre, tous ses gestes font souffrir ?
Il est donc installé dans la souffrance des plantes et des bêtes ?
Il ne peut donc pas couper un arbre sans tuer ?
Il tue, quand il coupe un arbre.
Il tue quand il fauche…
Alors, comme ça, il tue tout le temps ? Il vit comme une grosse barrique qui roule en écrasant tout autour de lui ?
C’est donc tout vivant ?
Janet l’a compris avant lui.
Tout : bêtes, plantes, et, qui sait ? peut-être les pierres aussi.
Alors, il ne peut plus lever le doigt sans faire couler des ruisseaux de douleur ?
Il se redresse : appuyé sur le manche de l’outil, il regarde la grande terre couverte de cicatrices et de blessures.

Cette terre !
Cette terre qui s’étend, large de chaque côté, grasse, lourde, avec sa charge d’arbres et d’eaux, ses fleuves, ses ruisseaux, ses forêts, ses monts, ses collines, et ses villes rondes qui tournent au milieu des éclairs, ses hordes d’hommes cramponnés à ses poils, si c’était une créature vivante, un corps ? […]
Ce val, ce pli entre les collines, où je suis en train de gratter, s’il allait bouger sous le coupant de ma bêche ?
Un corps !
Avec de la vie ! […]
Une vie immense, très lente, mais terrible par sa force révélée, émeut le corps formidable de la terre, circule de mamelons en vallées, ploie la plaine, courbe les fleuves, hausse la lourde chair herbeuse.
Tout à l’heure, pour se venger, elle va me soulever en plein ciel jusqu’où les alouettes  perdent le souffle.

Jean Giono  - Colline



Cette relation que nous avons à la nature et ce regard que nous portons sur elle est un échange. Et comme le dit si justement Martin Buber : "Ne cherchez pas à établir le sens de cette relation. Toute relation est réciprocité."

"Je considère un arbre : je peux le percevoir en tant qu'image, pilier rigide sous l'assaut de la lumière ou verdure jaillissante inondée de douceur. Je peux le sentir comme un mouvement, réseau gonflé des vaisseaux, succion des racines, respiration des feuilles, échange sans fin de la terre et du ciel, et cette obscure croissance elle-même.
Je peux le ranger dans une espèce, voir en lui un exemplaire sur lequel j'étudierai la structure et les modes de la vie.
Je peux annihiler si durement son existence au régime formel que je ne voie plus en lui que l'expression d'une loi.
Je peux le volatiliser et l'éterniser en le réduisant à un nombre, à un pur rapport numérique.
L'arbre n'a pas cessé d'être. Il a gardé sa place dans l'espace et le temps, sa nature et sa façon d'être, la puissance de ce qu'il a d'unique m'a saisi. Il n'est rien dont je ne doive faire abstraction pour le voir, rien que je doive oublier, au contraire. L'image et le mouvement, l'espèce et l'exemplaire, la loi et le nombre, tout a sa place dans cette relation, tout y est indissolublement uni.
Ce n'est pas une impression que cet arbre, ni un jeu de ma représentation, ni une valeur émotive. Il dresse en face de moi sa réalité corporelle. Il a affaire à moi, comme j'ai affaire à lui, mais d'une autre manière."
Martin Buber - Le je et le tu

Réfléchir et reconsidérer notre relation à la nature : le sujet est vaste mais plus puissant que de vouloir sauver l'humanité en réduisant ses déchets.




Les textes m'ont été inspirés par Jean-Claude Ameisen (une nouvelle fois !). 

dimanche 29 novembre 2015

Astrologie mondiale 2016

La voilà, ce sera vendredi prochain, il ne faut pas la manquer, la conférence d'astrologie mondiale de Sylvie Lafuente Sampietro pour 2016.





J'ai déjà évoqué ce que Sylvie Lafuente Sampietro nous a dit l'an passé au regard des événements de l'année 2015 : http://associationaltair.blogspot.fr/2015/09/ou-en-sommes-nous-propos-sur.html

Mais bien sûr, le monde tourne très vite et les événements nous bousculent en permanence.
Nous avons l'occasion de nous poser avec cette conférence et de nous interroger calmement sur le sens des événements,sur notre réaction mais aussi sur ce que nous pouvons faire à notre niveau.

Puisque cette année nous porte à la réflexion, nous pouvons venir chercher des pistes nouvelles pour la nourrir et ne pas rester désorientés.




En voici quelques-unes, que je partage avec vous :

Nous posons-nous les bonnes questions ?
"Chaque question possède une force que la réponse ne contient plus." Elie Wiesel


Quelle attitude adopter face à la violence et à la douleur ?
"Quand vous êtes confronté à la perte,
à la frustration, à la douleur et au conflit,
faites appel à votre dignité.
Redressez-vous, tenez-vous bien droit,
la tête haute. Ayez du respect 
pour vous-même, de la patience
et de la compassion. Grâce à eux,
vous pouvez tout supporter."

Jack Kornfield






Devons-nous juger ceux qui se livrent à ces violences ?
"Juger, c'est de toute évidence ne pas comprendre puisque, si l'on comprenait, on ne pourrait pas juger." André Malraux


Quel avenir pour nos sociétés ?
"Nos sociétés sont malades dans leur rapport à la nature, elles sont malades dans leur rapport à la vie et au temps de la vie, elles sont dans la course alors qu’il est urgent de se poser, de ralentir, de s’interroger sur le devenir de la terre, du frater qui signifie notre famille humaine. Il est urgent de remplacer notre rapport au travail et à l’emploi par un rapport à ce que Hannah Arendt a défini comme une logique de l’œuvre, celle qui nous permet d’accomplir nos projets de vie, ce qui est aussi le sens initial du terme « métier »".
Patrick Viveret



dimanche 22 novembre 2015

Espérance et liberté

Après avoir écouté la belle émission de Jean-Claude Ameisen de samedi dernier, j'ai voulu reprendre ici certains des textes, tout simplement pour les partager.
Il y est question  de souffrance, de liberté, et d'espérance.
Ce qui est frappant, c'est que ces textes nous viennent souvent de loin, et qu'ils montrent que la question de la liberté  est interrogée depuis très longtemps, qu'elle n'est pas résolue, hélas, mais que toujours, nous les humains, gardons l'espérance.



Entre tous mes tourments entre la mort et moi
Entre mon désespoir et la raison de vivre
Il y a l’injustice et ce malheur des hommes
Que je ne peux admettre il y a ma colère
[…]
Tu ne supportais pas l’oppression ni l’injure
Tu chantais en rêvant le bonheur sur la terre
Tu rêvais d’être libre et je te continue.
Paul Eluard. Dit de la force de l’amour

L'obscurité ne peut pas chasser l'obscurité, seule la parole peut y parvenir.
La haine ne peut pas chasser la haine, seul l'amour peut y parvenir.
Martin Luther King



À l’heure où nous sommes, la guerre vient d’achever un travail sinistre qui remet la civilisation en question. Une haine immense emplit l’avenir. Le moment semble étrange pour parler de la paix. Eh bien ! jamais ce mot : Paix, n’a pu être plus utilement prononcé qu’aujourd’hui. La paix, c’est l’inévitable but. Le genre humain marche sans cesse vers la paix, même par la guerre. Quant à moi, dès à présent, à travers la vaste animosité régnante, j’entrevois distinctement la fraternité universelle. Les heures fatales sont une clairevoie et ne peuvent empêcher le rayon divin de passer à travers elles.
...
Nous aurons l’esprit de conquête transfiguré en esprit de découverte ;nous aurons la généreuse fraternité des nations au lieu de la fraternité féroce des empereurs ; nous aurons la patrie sans la frontière, le budget sans le parasitisme, le commerce sans la douane, la circulation sans la barrière, l’éducation sans l’abrutissement, la jeunesse sans la caserne, le courage sans le combat, la justice sans l’échafaud, la vie sans le meurtre, la forêt sans le tigre, la charrue sans le glaive, la parole sans le bâillon, la conscience sans le joug, la vérité sans le dogme, Dieu sans le prêtre, le ciel sans l’enfer, l’amour sans la haine. L’effroyable ligature de la civilisation sera défaite ; l’isthme affreux qui sépare ces deux mers, Humanité et Félicité, sera coupé. Il y aura sur le monde un flot de lumière. Et qu’est-ce que c’est que toute cette lumière ? C’est la liberté. Et qu’est-ce que c’est que toute cette liberté ? C’est la paix.
Victor Hugo (Actes et paroles) 



"C'est étrange parce qu'il semble que sous la surface des combats de notre époque, des guerres fratricides, des antagonismes tribaux, de l'intolérance religieuse, de la violence raciale, de la disharmonie entre les sexes, nous attend toujours la découverte la plus banale qui soit : que nous sommes humains et que la vie est sacrée. Nous n'avons toujours pas découvert ce que signifie "être humain" et il semble que cette découverte banale soit la plus extraordinaire qui puisse être faite, car lorsque nous aurons appris ce que c'est qu'être humain, nous saurons ce que signifie être libre et nous saurons que la liberté est réellement le commencement de notre avenir commun."
Ben Okri (A way of being free)


Liberté

Paul Eluard
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom


Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom


Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom


Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom


Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom


Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom


Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom


Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom


Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom


Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom


Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom


Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom


Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom


Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom


Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom


Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom


Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom


Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom


Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom


Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom


Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.

Paul Eluard

dimanche 15 novembre 2015

Ombre et lumière




Sur ton passage tu annihiles tout.
N'est-ce pourtant toi, Mort,
Qui rend unique tout d'ici ?
Cette nuit-même, n'est-ce toi
La brise qui parcourt les sentiers,
Le nuage, qui, flottant, cache les étoiles,
Le parfum de tilleul qui soudain étouffe,
Les lucioles égarées là
Sur l'étang de la mémoire...
Ce brame déchirant cœurs et reins,
Biche blessée cédant à l'invite,
D'un lit de mousse sans fond,
Au sein de l'aveuglante clairière.


François Cheng (La vraie gloire est ici)


dimanche 8 novembre 2015

Des cycles rassurants


"Fais de moi ta lyre, comme l'est la forêt;
Qu'importe si mes feuilles tombent, 
comme les siennes !
Le tumulte de tes puissantes harmonies

tirera de tous deux un son profond d'automne,
Doux, malgré sa tristesse. Sois, âme farouche,
Mon âme ! Sois moi-même, vent impétueux !

Chasse mes pensées mortes par-dessus l'univers,
Feuillage desséché d'où renaisse la vie !
Et, par l'incantation de ces vers,

Disperse, comme d'un foyer inextinguible,
Cendres et étincelles, mes paroles parmi l'humanité !
Sois par mes lèvres, pour la terre assoupie encore,

La trompette d'une prophétie ! Ô, Vent,
Si vient l'hiver, le printemps peut-il être loin ?"


P.B.Shelley (extrait de "Ode au vent d'Ouest")





Ce poème parle de la renaissance, de l'espérance qui naît au sein des grands tourments.
Il me fait penser à la vie des premiers hommes qui guettaient tous les matins le soleil pour voir renaître la lumière. A  tous ces hommes qui ont compris qu'au plus fort de l'hiver et du froid, il y avait toujours l'espérance que le printemps revienne.




Je pense aussi aux cycles de la vie, que l'astrologie nous apprend à découvrir et repérer : chaque cycle que nous pouvons suivre dans le ciel correspond en nous à des cycles que nous expérimentons et qui nous aident à progresser.
Les cycles des planètes se lisent aussi sur le monde avec ses soubresauts, ses moments de crise et ses moments d'espoir.
L'astrologie nous apprend que nos douleurs et nos difficultés ne sont pas figées et qu'elle passeront, se transformeront, et finiront par être apaisées. Les cycles à l'image de celui des saisons nous montrent que tout peut renaître. Le poème de Shelley nous parle magnifiquement de cette renaissance qui nous attend comme une prophétie.



dimanche 1 novembre 2015

Un seul corps



Si nous voulons devenir totalement nous-mêmes, nous devons revendiquer le corps - et même considérer que sa douleur et ses limites sont les nôtres. Alice Miller, qui consacra sa vie à mettre en valeur notre être authentique, nous dit que ce corps est une clé :

"La vérité de notre enfance est conservée dans notre corps; bien que nous puissions la réprimer, jamais nous ne pourrons l'altérer. Notre intellect peut être trompé, nos sentiments manipulés, nos conceptions troublées et notre corps mystifié par des médicaments. Mais un beau jour, notre corps va nous présenter l'addition car il est incorruptible comme un enfant qui, l'esprit entier, n'accepte aucun compromis ni aucune excuse. Il ne cessera de nous tourmenter jusqu'à ce que nous arrêtions de fuir la vérité."  




Vivre avec sagesse au jour d'aujourd'hui, dans son propre corps, tel qu'il est dans cette vie, c'est ce que nous propose Pema Chödrön, avec cette compréhension qu'elle nomme : "la sagesse de ne pas fuir".

" Il est utile de réaliser qu'ici, assis en méditation ou accomplissant les choses simples de tous les jours _ travailler, marcher dehors, parler aux gens, manger, aller aux toilettes _ est en fait exactement ce dont nous avons besoin pour être pleinement éveillés, totalement vivants, parfaitement humains. Il est utile de réaliser également que le corps que nous possédons, ce corps qui est assis ici-même, maintenant, dans cette pièce, ce corps qui est parfois douloureux et cet esprit que nous avons à l'instant même sont exactement ce qu'il nous faut pour être totalement humains, totalement éveillés et totalement vivants. En outre, les émotions que nous avons juste à l'instant, qu'elles soient négatives ou positives, sont ce dont nous avons réellement besoin. C'est exactement comme si nous cherchions alentour quelle pourrait être la plus grande richesse qu'il nous serait possible d'avoir pour mener une vie décente, bonne, totalement satisfaisante, énergique et inspirée, et que nous trouvions cette richesse ici même". 




Tsongkhapa, grand maître tibétain du passé, disait : "Ce corps humain est plus précieux que le plus rare des joyaux. Soigne ton corps; il est à toi pour cette fois seulement...une belle chose qui meurt."


"Le bourgeon
existe pour toutes les choses,
même pour celles qui ne fleurissent pas, 
car tout fleurit de l'intérieur, de par sa propre bénédiction;
cependant il est parfois nécessaire,
de réapprendre à une chose sa beauté,
de poser une main sur le contour
d'une fleur
et de lui redire en paroles et en touchers
qu'elle est belle
jusqu'à ce qu'elle fleurisse à nouveau, de l'intérieur,
de par sa propre bénédiction;
comme Saint-François
qui posa la main sur le front plissé
de la truie lui offrant par la parole et le toucher
les bénédictions de la terre pour les truies; alors la truie
commença à se souvenir de son corps volumineux,
allant de son groin plein de terre, toujours dans la nourriture et la fange,
jusqu'à la délicate courbure de sa queue...
la grande et parfaite beauté d'une truie."
Galway Kinnell




Et après ce texte magnifique sur la bénédiction de notre corps, nous voyons bien que si nous voulons accéder à la sagesse, nous devons intégrer l'aspect sacré du corps.

"Un corps me fut donné." La découverte de ce don, l'étonnement qu'il suscite, et l'expérience que nous pouvons en faire, nous conduit à un remerciement, à la suite d'Ossip Mandelstam :


"M'est donné un corps, que devrais-je en faire,
Un corps si un, un corps si mien ?

Pour la joie douce, de respirer et vivre, 
Dites-moi, à qui, dois-je rendre grâce ?

C'est moi le jardinier, et moi la fleur,
Dans la prison du monde, je ne suis pas seul.

Et sur les vitres de l'éternité
Mon souffle et ma chaleur se sont posés

Un léger dessin s'y sera fixé
Et qu'on ne reconnait plus désormais.

Mais qu'elle s'écoule, de l'instant la buée
Ce précieux dessin, on ne peut l'effacer."




Le texte m'a été inspiré par Jack Kornfield (Après l'extase, la lessive) et le dernier poème par Fabrice Midal (cité dans Etre au monde - 52 poèmes pour méditer)

dimanche 25 octobre 2015

L'ermite et la nécessité

Pour les vacances, voici un petit conte que j'ai trouvé sur le site de Clés, il est raconté par Henri Gougaud :




La couverture

Un saint ermite dit, un jour, à son disciple :
- Mon cher fils, je t'ai tout donné, tu as bien appris, Dieu te garde. Je te laisse tout ce que j'ai : cette couverture de laine dont je te prie de prendre soin. Vis ta vie maintenant. Adieu.

L'ermite s'en alla. Son disciple resta dans sa hutte, sur la colline, priant et mendiant son pain de tous les jours. Or, voilà qu'une nuit d'hiver, un rat rongea sa couverture. Il la reprisa comme il put, puis pensa : « Il me faut un chat pour protéger ce bien sacré que mon maître m'a confié. »
 Il en trouva un. Ils se plurent. Mais il lui fallait maintenant mendier des repas pour deux. « Les gens sont pauvres, se dit-il. Je crains de leur demander trop. Il faut que je trouve une vache. Elle satisfait nos besoins, et je pourrai prier tranquille. » 
Il en rencontra une, elle s'était égarée. Mais il lui fallait maintenant du fourrage pour son bestiau. « Le mieux, se dit le saint garçon, serait que je cultive un champ. ». 
Ce qu'il fit, autour de sa hutte. Mais il n'eut plus guère de temps pour prier comme il le devait. Il engagea donc quelques hommes. Ils s'occupèrent des récoltes. Mais les surveiller, quel travail ! »
« Une femme pourrait m'aider », se dit-il. Il se maria. Il s'agrandit, devint bientôt un opulent propriétaire. 




Et voilà qu'un jour son vieux maître, passant par là, revint le voir. Il s'étonna.
- Mon fils, dit-il, qu'est-ce que tout cela signifie ?
- Je sais, c'est surprenant, répondit le garçon.
Mais il me fallait conserver cette couverture sacrée que vous m'avez jadis offerte.



dimanche 18 octobre 2015

"Les chevaux écumants du passé"

Ses phrases me poursuivent, la musique m'imprègne. Les mots de Christiane Singer résonnent toujours en moi depuis le spectacle de vendredi soir.

D'abord, Pierre le pianiste est arrivé , s'est installé tranquillement devant son piano, et il nous a régalés de sa musique pendant que nous préparions la salle. Puis Helen à son tour est apparue, on la sentait un peu inquiète, cette soirée serait-elle aussi belle que les autres ?

Lorsque tout le monde fut prêt, le piano a commencé à nous mettre à l'écoute.  Helen alors nous a entraînés dans l'univers profond de Christiane Singer. Elle aussi était présente, grâce à cette évocation.



"N'oublie pas les chevaux écumants du passé. Ils n'ont, pour se faire entendre, que leur sueur
et le battement de leur sang affolé par la course.
Du fond des temps...
Dans un galop fou....
Ils viennent de si loin...
L'étrange est qu'ils n'apportent aucun message, aucun rouleau de parchemin glissé sous un harnais.
Leur message n'a pas de mots, pas de contenu, il ne se formule pas, n'a jamais été ni envoyé ni reçu,
ni gravé sur un fronton. C'est un frémissement amoureux."

"Un fluide insaisissable coule d'une génération à l'autre."

"Lorsque nous confondons le passé avec ses désastres et ses faillites, sa poussière et ses ruines, nous perdons accès à ce qui se dissimule derrière - à l'abri des regards ; le trésor inépuisable, le patrimoine fertile."

"Le présent s'inscrit dans une seule coulée, un flux continu entre l'infini qui nous précède et l'infini qui nous suit." 

"Lorsque nous développons nos antennes et apprenons à déceler partout la trace d'autres passants, d'autres humains vivants ou morts, alors notre façon d'être au monde se dilate et s'agrandit."




Nous étions emportés par les messages que nous transmettait la voix inspirée d'Helen et les notes de Pierre suggérées par les mots.

"L'amour de soi - qui est le fondement de l'amour - est une expérience bouleversante, ontologique et mystique. Il ne s'agit pas de l'amour porté à cette personnalité que j'ai réussi à construire. C'est un grande sympathie que j'éprouve pour elle tout au plus... Non, l'amour s'ancre ailleurs. Il s'ancre d'abord dans la stupéfaction d'être vivant et étrangement dans l'expérience du corps." 

"J'ose insister : l'avenir ce sont deux humains assis côte à côte ou face à face.
Ils ont en eux toute l'intelligence de la création et ils s'aident l'un et l'autre patiemment à en trouver la trace. J'ose à peine dire ce qu'ils font ensemble tant j'ai peur de heurter la sensibilité contemporaine : ils se parlent !"




Puis soudain, la musique s'est brisée. Un arrêt quand il était question du seuil des possibles. Oui, tout est possible. Nous étions comme suspendus à ce qui pouvait advenir en un instant. Puis les phrases sont revenues, et ensuite la musique et tout s'est éclairé d'une grande force.



"Mais il existe un autre moyen pour entrer en contact avec cet essentiel : c'est le drame. Lorsque nous souffrons cruellement, lorsque nous sommes précipités dans ce que nous redoutions le plus - maladie, deuil, échec -, souvent l'inattendu a lieu : ces expériences paroxystiques semblent ôter à notre corps et à notre âme leur opacité, les abraser au papier de verre afin qu'ils laissent à nouveau filtrer la lumière." 

"Celui qui a vu son ombre est plus grand que celui qui a vu les anges.Celui qui a touché ses abîmes et qui a pourtant choisi la vie met le monde debout. "

"Ce qui dort en l'homme dormira jusqu'à la fin des temps si rien ne vient l'éveiller."

"Cette puissance infiniment supérieure à l'homme et qui – mystère vertigineux – n'est agissante sur terre qu'à travers l'homme qui l'accueille ou le corps qui l'incarne, cette puissance ou mieux cette présence ineffable et fragile, c'est l'amour qui nous fonde."



"Dis : de quoi as-tu pris soin ? à quoi as-tu livré passage ? " 

"Il existe une question qui, lorsqu'on la pose sérieusement, donne le vertige : qu'as-tu que tu n'aies pas reçu en don ? "

Quand le spectacle s'est arrêté, nous étions tous embarqués dans l'univers de Christiane Singer, tous dans ce monde où la vie est tellement simple, tellement vibrante et tellement joyeuse pour peu qu'on ose la questionner.
Nous devions juste garder ces mots en nous pour ne pas oublier.



Les artistes nous ont remerciés mais nous leur devons également ce partage et la découverte ou la redécouverte de l'oeuvre de Christiane Singer. Les mots dits et la musique ont une autre résonance en nous que les mots lus. Leur énergie nous touche au plus profond.
Ressentir ensemble ces émotions grâce à notre présence en ce lieu est très précieux à notre époque où la communication est partout mais où les personnes souvent ne se rencontrent pas réellement.


Les citations sont extraites du livre de Christiane Singer : "N'oublie pas les chevaux écumants du passé". Le texte du spectacle en est aussi une adaptation.

dimanche 11 octobre 2015

Samedi astrologique

Uranus

Nous avions un rendez-vous avec l'astrologie à Lyon samedi. le rassemblement des astrologues occidentaux (R.A.O.) avait organisé un colloque sur le thème : "L'art de la consultation astrologique"

Le sujet est pointu et nous étions malgré tout une cinquantaine de personnes à y assister. Les astrologues peuvent se sentir parfois seuls face à leur pratique et ce partage ne pouvait être que bienvenu !


Jupiter


Comment se déroule un colloque d'astrologie ?
C'est simple : plusieurs orateurs se succèdent à la tribune pour traiter chacun d'un sujet et le colloque se termine par une table ronde avec tous les intervenants. Durant celle-ci,  toutes les questions peuvent être posées même les plus farfelues (nous avons ainsi parlé de petits pois ce qui ne semble pas de prime abord avoir un lien avec l'astrologie).
Comme tout est parfaitement organisé, aucun débordement de durée, aucune digression ne viennent perturber l'ensemble.

Que s'y est-il dit ?
Chacun a pu exposer sa vision de la consultation astrologique. Si tout le monde était d'accord pour mettre en pratique le code de déontologie et d'éthique du R.A.O., chaque astrologue a sa manière d'envisager les choses. 
L'astrologie dite "savante" par opposition à l'astrologie dite "populaire" ( en schématisant, ce sont les horoscopes)  comporte plusieurs courants et chaque courant utilise des outils différents. Cependant, tous les intervenants se sont retrouvés autour de quelques principes : 
Il est nécessaire de très bien connaître la technique astrologique pour pouvoir libérer son esprit et être à l'écoute de la personne reçue en consultation. Il est nécessaire de parler de façon claire pour être bien compris et éviter le jargon astrologique qui n'apporte rien et nuit à la clarté des messages. Tout ceci va permettre de donner à la personne les informations adéquates à ses besoins.


Neptune


Qu'est-ce qu'un astrologue ? "C'est celui qui pratique l'art de l'interprétation et qui sait lire les astres" nous a dit Sylvie Lafuente Sampietro.
Nous avons beaucoup parlé de cet art de l'interprétation que l'on peut comparer à l'interprétation d'un morceau de musique, d'une chorégraphie, d'une pièce de théâtre. Ce qui se joue à partir d'une technique maîtrisée, c'est l'art d'interpréter les symboles du langage astrologique. 

Et l'astrologie fait un lien avec le ciel : les symboles nous sont inspirés par la voûte céleste et le lien avec l'astronomie est très fort même si les astronomes ont coupé les ponts avec les astrologues depuis le XVIIe siècle. L'astrologue peut être ainsi considéré comme le "messager du ciel et le médecin de l'âme".


Pluton enlevant Perséphone


En bref, ce fut une belle journée de réflexion sur la pratique de la consultation, sur le sens de cette pratique et sur son but. La consultation est une forme de méditation, nous ont dit plusieurs astrologues, Etre là entièrement présent à ce moment avec la personne, qui vient consulter est en effet essentiel.


dimanche 4 octobre 2015

Evocation de Christiane Singer

Le 16 octobre prochain, nous accueillons Helen Ginier-Gillet   pour une lecture de textes de Christiane Singer. Elle sera accompagnée au piano par Pierre Galland.



Christiane Singer disait : " Je ne suis qu'une Vivante qui voyage entre les mondes."

Sa curiosité et ses recherches l'amènent à côtoyer les maîtres de sagesse récents ou plus anciens qu'elle qualifie de "chevaux écumants du passé." Car pour elle, le passé "n'est pas ce qui nous retient en arrière, mais ce qui nous ancre dans la présence et nous insuffle l'élan d'avancer."
Atteinte d'un cancer à la fin de sa vie, elle rédige un journal paru sous le titre "Derniers fragments d'un long voyage" qui conte sa bouleversante traversée de la maladie et l'approche de la mort pour mieux célébrer la splendeur de la vie. "Tout est vie, que je vive ou que je meure" écrit-elle. Ou encore : " Ne croyez pas que la mort soit un échec. c'est l'amoureux accomplissement d'une alchimie."
Toute son oeuvre célèbre la vie.
"La vie n'a pas de sens, ni de sens interdit, ni de sens obligatoire. Et si elle n'a pas de sens, c'est qu'elle va dans tous les sens et déborde de sens, inonde tout... Si elle n'a pas de sens, c'est qu'elle est le sens."


Christiane Singer


Nourris des traditions chrétienne, juive, musulmane, hindoue et bouddhiste, ses ouvrages militent pour une spiritualité libre de tous dogmes.
Elle propose de "retrouver ses racines intérieures" puis de "délivrer le monde de soi-même" pour atteindre la vie véritable. "La réalité, avec ses causes et ses effets, n'est que la croûte du réel", écrit-elle. Considérant chaque homme comme une parcelle de l'univers, elle invite à dépasser son individualité, à renouer avec sa responsabilité et à développer la solidarité pour ne pas tomber dans "l'abîme de l'inhumanité."
Elle s'interroge sur la fuite en avant qui caractérise les sociétés et les comportements modernes et coupe l'homme de l'essentiel. "Il nous faut retrouver cette aisance, cette innocence à danser entre les mondes, si naturelle aux cultures enracinées dans le sacré".



Or, le seul moyen d'accéder au réel est l'amour.
"Un autre monde est possible", nous dit-elle. Un monde bâti sur l'amour.
Face aux priorités destructrices de la société industrielle et marchande qui fait voler en éclats le tissu relationnel de la société, dont la famille et le couple, elle convie chacun à réagir. "La seule bonne réponse est de se mettre au service de la vie, de prendre soin aujourd'hui encore de la petite enclave de vie qui m'est confiée." Car de chacun dépend l'état du monde, qui est lié à notre capacité à être et à aimer. 



Je me suis inspirée ici de l'article sur Christiane Singer paru dans le numéro 70 du Monde des religions.

dimanche 27 septembre 2015

Le silence


En retrouvant mon groupe de taï-chi-chuan ces derniers jours, j'ai été à nouveau saisie par la force du silence lorsque nous pratiquons tous ensemble. La concentration de chacun résonne et emplit ce silence qui se retrouve plein d'une puissante énergie. Ce silence est, comme dans la méditation, le temps du retour vers soi mais aussi celui de l'ouverture au monde.

"Comme la mort est le parachèvement de la vie, ce qui lui donne forme et valeur, ce qui ferme sa bouche, de même le silence est l'aboutissement suprême du langage et de la conscience. Tout ce que l'on dit ou écrit, tout ce que l'on sait, c'est pour cela, pour cela vraiment : le silence."
J.-M.-G. Le Clézio, L'Extase matérielle, 1967, p. 192.

"Homme qui aime parler beaucoup : écoute et tu deviendras semblable au sage. Le commencement de la sagesse est le silence."
Pythagore




Les sages ont souvent prôné le silence et la modération de la parole :

"De nos jours, l'activité a tellement augmenté que nos occupations nous tiennent en mouvement du matin au soir sans la moindre possibilité de repos. Le soir nous sommes si fatigués que nous ne demandons qu'à dormir et le lendemain cela recommence. C'est très dommageable pour la qualité de la vie. L'homme ne pense pas à la vie; il est si avide de plaisirs qu'il ne pense pas à jouir de la vie. Chacun devrait avoir au moins une heure de calme, de silence par jour.


D'un point de vue moral, je dirais que le silence présente de nombreux avantages. Nous commettons la plupart de nos sottises en paroles. En l'espace d'une semaine nous commettons une sottise en acte pour mille sottises en paroles. Nous offensons souvent quelqu'un, nous le blessons, rien qu'en parlant trop. Si nous nous étions tus, nous ne l'aurions pas blessé. Il y a des familles qui ne cessent de se disputer pour la seule raison qu'on y parle trop."
Hazrat Inayan Khan



Mais le silence n'est pas toujours plénitude. Il peut être aussi le reflet de notre ombre. Ne parle-t-on pas pour le taï-chi, de mouvements du silence mais aussi du combat avec son ombre ?
Je repense ici surtout au silence de Pluton, qui en astrologie représente tous les non-dits, tous les silences qui ne disent pas, qui se taisent et qui font planer l'angoisse. Ce silence qui est peur d'aller visiter les ombres doit être dépassé par la parole, par la lucidité sur ce qui se cache au fond de nous.

Le silence est à double tranchant : il est la peur et l'angoisse des misérables ombres, il est la puissance et l'énergie du monde. Il nous permet de laisser s'exprimer ce qui est en nous : la beauté comme l'horreur.

Terminons avec Victor Hugo, puisqu'il a toujours quelque chose à nous dire :




Ce silence du soir,
Ce n'est pas le silence. Ecoute ! Tout est noir,
La nuit obscure fait toute chose pareille,
Le ciel verse un repos immense; pour l'oreille
Tout bruit a cessé. L'âme entend en ce moment
Une foule de voix sortir confusément
De cette ombre en disant des choses inconnues.
Il semble que les eaux, les plaines et les nues
Sont pleines de secrets qu'elles vont révéler,
Et dès que tout se tait, tout commence à parler.

Victor Hugo.