dimanche 27 mars 2022

Le temps passe...

 


Le temps qui passe ... L'émerveillement au retour du printemps, l'automne et ses jours qui ressemblent à une fin mais annoncent déjà le futur renouveau... Voici donc deux textes sur le temps qui passe et n'en finit pas de nous émerveiller.


"Chaque année, un jour de printemps, en pénétrant dans le jardin, je ressens le même choc, la même stupéfaction.

Chaque année, c’est le même émerveillement devant les bourgeons qui éclatent et commencent à éclore ; devant les débuts de feuilles, cette dentelle verte qui décore les branches et tremble sous la brise.

Une fois encore, les jours vont s’allonger ; la lumière et la chaleur revenir. Les feuilles se former, puis les fleurs et les graines. Animaux et végétaux vont exploser de vie et de croissance.

Indifférente aux affaires des hommes, la grande machine de l’univers continue de tourner, inexorable.

Plus que l’océan et les tempêtes, plus que la montagne et ses glaciers, plus que la voûte céleste et ses galaxies, c’est ce petit frisson vert, qui parcourt les arbres et vous surprend un matin de printemps, qui me donne, avec la force de l’évidence, l’impression d’assister au spectacle grandiose qui, depuis quelque douze milliards d’années, agite la grande scène de l’univers."

François Jacob. La souris, la mouche et l’homme.

"Le soleil s’est couché ce soir dans les nuées.
Demain viendra l’orage, et le soir, et la nuit ;
Puis l’aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ;
Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s’enfuit !

Tous ces jours passeront ; ils passeront en foule
Sur la face des mers, sur la face des monts,
Sur les fleuves d’argent, sur les forêts où roule
Comme un hymne confus des morts que nous aimons.

Et la face des eaux, et le front des montagnes,
Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts
S’iront rajeunissant ; le fleuve des campagnes
Prendra sans cesse aux monts le flot qu’il donne aux mers.

Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête,
Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux,
Je m’en irai bientôt, au milieu de la fête,
Sans que rien manque au monde, immense et radieux !" 

Victor Hugo. Les Feuilles d'Automne.



lundi 21 mars 2022

Images de Rimbaud


 Dans "Un été avec Rimbaud, Sylvain Tesson explore les images qui surgissent des poèmes de Rimbaud. Ces deux-là s'entendent merveilleusement et la lecture est réjouissante.

En voici quelques extraits :

"Que buvais-je, à genoux dans cette bruyère

Entourée de tendres bois de noisetiers

Dans un brouillard d'après-midi tiède et vert ?" (Délires II, Une saison en enfer)

Je ferme les yeux et je vois un chevalier préraphaélite encore intact avant l'orgie.

"Que leurs forces soient en paix 

en attendant le bain dans la mer à midi."  (Délires II, Une saison en enfer)

Je vois des spartiates d'acier plantés dans un soleil de marbre.

"Ah l'enfance, l'herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonnait douze..."

(Nuit de l'enfer, Une saison en enfer)

Je vois de gros enfants de Renoir qui croient vainement à l'éternité de leur âge d'or joufflu.

"Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie." (Adieu, Une saison en enfer)

Là c'est le bleu baroque d'un grand peintre du Siècle espagnol dans un musée très vide.

"Sur la pente du talus les anges tournent leur robe de laine dans les herbages d'acier et d'émeraude.

Des prés de flammes bondissent jusqu'au sommet du mamelon." (Mystique, Illuminations)

Là, la sainte vision d'une petite bergère de Lourdes tourmentée dans sa grotte par ses hormones, c'est-à-dire par le Christ.



"L'œil écoute" : cette expression de Paul Claudel décrit la lecture des vers de Rimbaud, poèmes de la vision. Le monde du poète existe parce que Rimbaud le voit. Non seulement l'œil écoute, mais il crée ce qu'il regarde. Le réel émane de sa représentation, vieille intuition gnostique.

Par effet opposé, le poète ferme les yeux et tout s'éteint. les paupières servent à tirer le rideau sur l'horreur du monde. Pour preuve, ces quelques vers de Rêvé pour l'hiver :

Tu fermeras l'œil pour ne point voir, par la glace,

Grimacer les ombres des soirs,

Ces monstruosités hargneuses, populace

De démons noirs et de loups noirs.

D'autres fois, à l'inverse, on ferme les yeux pour faire jaillir les images. "Quand on voyage, on devrait fermer les yeux", savait Blaise Cendrars (Prose du Transsibérien). La paupière, petit écran de chair, reçoit alors la projection du cinéma intérieur. 



lundi 14 mars 2022

Libération

 Un conte du livre des chemins de Henri Gougaud, voilà ce que je vous propose aujourd'hui.

Un joli conte, léger et plein d'amour.


L'oiseau de Junayid

On raconte qu'un jour, un ami de passage offrit un bel oiseau au sage Junayid. Le saint homme le prit tout doux contre son cœur, caressa un moment ses ailes, puis les baisa, ouvrit les mains, et le rendit au vaste ciel. L'ami s'en étonna. Il demanda :

_ Pourquoi ?

Junayid répondit : 

_ Il m'a dit à l'oreille : "Ne trahis pas l'amour que tu ressens pour moi. S'il te plait, Junayid, pas de cage entre nous." Quand il s'en est allé (ne l'as-tu pas entendu ?) son cri de joie m'a remué jusqu'au plus secret de mon âme. Tu m'as offert, plus qu'un oiseau, la bénédiction d'un oiseau."

On dit que l'envolé s'en revint chaque jour pour rendre visite au saint homme. Le matin, il le réveillait, perché au bord de sa fenêtre. Le soir, il mangeait avec lui. Ce fut ainsi longtemps, puis Junayid mourut. Alors l'oiseau s'en vint nicher dans le creux de sa main ouverte, se coucha et mourut aussi.

A quelque temps de là, un disciple rêva de son maître défunt. En songe ils parlèrent un moment. 

Junayid lui dit, à la fin :

_ Nous nous voyons souvent (il parlait de l'oiseau), nous conversons ensemble, mais entre nous demeure un point de désaccord. 

_ Vous m'étonnez. Lequel ? lui demanda l'ami. 

_ Celui-ci : De lui ou de moi, qui a vraiment libéré l'autre ?



"L'attention créatrice consiste à faire réellement attention à ce qui n'existe pas." Simone Weil

mardi 8 mars 2022

Petites phrases d'Edgar Morin


 

Elles sont extraites de son livre : Leçons d'un siècle de vie et nous incitent à réfléchir, sur notre monde et sur nous-mêmes.

En voici quelques-unes :

Vivre est naviguer dans un océan d'incertitudes en se ravitaillant dans des îles de certitudes.

Attends-toi à l'inattendu.

Aucun acquis historique n'est irréversible. 

Quand l'immédiat dévore, l'esprit dérive.

Le principe de précaution n'a de sens qu'associé à un principe de risque, indispensable à l'action et à l'innovation.

Pour bien vieillir, il faut garder en soi les curiosités de l'enfance, les aspirations de l'adolescence, les responsabilités de l'adulte, et dans le vieillissement essayer d'extraire l'expérience des âges précédents.

La réalité se cache derrière nos réalités.