dimanche 25 novembre 2018

Histoires taoïstes

Voici deux histoires taoïstes amusantes, montrant une compréhension profonde de l'esprit humain mais aussi une ironie paisible envers les sages et les politiques.




Confucius voyageant dans l'Est de la Chine vit deux petits garçons qui se querellaient. Il leur demanda la raison. Le premier enfant dit :
" Quand le soleil se lève, il est aussi grand qu'une roue de char; à midi, il n'est pas plus grand qu'une assiette ou qu'une tasse. Ce qui est loin semble plus petit; ce qui est proche semble plus grand."
L'autre répliqua : "Quand le soleil se lève, il est tout froid mais à midi, c'est comme si on plongeait sa main dans de l'eau chaude. Ce qui est plus proche est plus chaud, n'est-il pas vrai ?"
Confucius fut incapable de trancher la question. Les deux enfants se mirent à rire : "Qui prétend que vous avez beaucoup de savoir ?".
Liezi 5




Alors que Zhuangzi pêchait à la ligne dans la rivière Pu, le roi de Chu envoya deux de ses officiers pour lui faire des avances.
"J'aimerais vous confier la charge de mon territoire."
Zhuangzi, sans relever sa ligne, sans même tourner la tête, leur dit : "J'ai entendu dire qu'il y a à Chu une tortue sacrée morte depuis trois mille ans. Votre roi conserve sa carapace dans un panier enveloppé d'un linge, dans le temple de ses ancêtres. Dites-moi si cette tortue eût préféré vivre en traînant sa queue dans la boue."
_ Elle aurait préféré vivre en traînant sa queue dans la boue", dirent les deux officiers.
Zhuangzi dit : "Allez-vous-en ! Je préfère moi aussi traîner ma queue dans la boue ."
Zhuangzi 17




Et pour ne pas laisser croire que les chinois taoïstes ne sont que des farceurs, voici un des préceptes du taoïsme, extrait du Daodejing, le livre origine du taoïsme :

"Le sage n'accumule aucun bien
        Plus il fait pour les autres et plus il possède;
        Plus il donne aux autres et plus il reçoit.

La voie du sage est d'agir sans lutter."

Daodejing 81




dimanche 18 novembre 2018

Victor Hugo et la guerre

Puisque nous avons parlé ces derniers temps de guerre et puisque Victor Hugo est toujours d'actualité, j'ai réuni deux poèmes qui nous parlent de guerre. Et puisque le souvenir doit être entretenu des atrocités et de ce que personne ne souhaite revoir, écoutons sa voix une nouvelle fois.



Depuis six mille ans la guerre
Plait aux peuples querelleurs,
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs.

Les conseils du ciel immense,
Du lys pur, du nid doré,
N'ôtent aucune démence
Du cœur de l'homme effaré...

Depuis six mille ans la guerre (Victor Hugo)



Continuons avec ce poème, intitulé Bêtise de la guerre :

Ouvrière sans yeux, Pénélope imbécile,
Berceuse du chaos où le néant oscille,
Guerre, ô guerre occupée au choc des escadrons,
Toute pleine du bruit furieux des clairons,
Ô buveuse de sang, qui, farouche, flétrie,
Hideuse, entraîne l’homme en cette ivrognerie,
Nuée où le destin se déforme, où Dieu fuit,
Où flotte une clarté plus noire que la nuit,
Folle immense, de vent et de foudres armée,
A quoi sers-tu, géante, à quoi sers-tu, fumée,
Si tes écroulements reconstruisent le mal,
Si pour le bestial tu chasses l’animal,
Si tu ne sais, dans l’ombre où ton hasard se vautre,
Défaire un empereur que pour en faire un autre ?



dimanche 11 novembre 2018

Une légende de la lune


"La lune accompagne les nuits des humains depuis les temps les plus anciens. Très tôt, sans doute, ils ont observé les changements de sa forme. Nuit après nuit, ils l'ont vue apparaître comme un mince croissant et puis croître jusqu'à devenir "la pleine lune" qui illumine toute la campagne de son éclat argenté. Les nuits suivantes, ils l'ont vue maigrir progressivement jusqu'à disparaître pendant quelques jours. Inquiets de cette disparition, on peut supposer qu'ils se sont réjouis de son retour et de la reprise de son cycle. La Lune illustrait ainsi l'existence dans la nature, de phénomènes réguliers se reproduisant fidèlement avec la même séquence de phases.
On pense aujourd'hui que l'observation de ce cycle lunaire a joué un rôle important dans la naissance et l'élaboration des sciences. Les humains ont découvert par là que les comportements de la nature ne sont pas complètement aléatoires et chaotiques. De là serait née la confiance qui a permis la recherche et l'élaboration des connaissances. La lune a profondément influencé le parcours intellectuel des humains." Hubert Reeves



La lune a aussi été la source de rêves et de nombreuses contes et histoires. Voici par exemple Le lièvre et la lune, un conte hottentot, peuple de pasteurs nomades d'Afrique du Sud. 



Souvent affamés, blessés ou malades, les premiers hommes qui peuplaient la terre menaient une vie difficile. La Lune qui les regardait du haut du ciel eut soudain pitié d'eux. Apostrophant un lièvre qui passait par là, elle le chargea de transmettre aux hommes le message suivant : "Tu diras aux hommes qu'ils ont été créés à mon image et et que leur vie est semblable à la mienne. Quand ils viennent au monde, ils sont fragiles comme un fin croissant de Lune. Mais très vite ils grandissent. Arrive alors le temps de la maturité où ils rayonnent tels une Pleine Lune. Puis ils commencent à s'affaiblir, à décliner pour disparaître un jour, comme moi quand vient la Nouvelle Lune. Mais cette mort n'est qu'un passage. Qu'ils sachent qu'après trois jours, comme moi, eux aussi ils renaîtront. Une nouvelle vie les attend après la mort. Qu'ils n'oublient jamais cela !"
La Lune avait à peine prononcé ces derniers mots que notre lièvre était déjà parti. Mais vous savez comment sont les lièvres... Ils perdent souvent la mémoire en courant. Et c'est une information incomplète qu'il transmet aux hommes.
 "Votre destin est semblable à celui de la Lune. Comme elle, vous apparaissez, vous déclinez et puis un jour vous mourrez" leur dit-il.
L'essentiel du message a été perdu. Dépitée et furieuse, la Lune lance alors une grosse branche à la face du lièvre. Et c'est depuis ce jour-là que les lièvres ont un bec de lièvre... et que les hommes meurent désespérés. 
Raconté par Bernard Melguen dans La lune, vérités et légendes


dimanche 4 novembre 2018

Eloge de la solitude

La solitude, on l'aime ou on la craint. Nous y sommes tous confrontés un jour ou l'autre et bien évidemment, au moment de notre naissance et de notre mort. Selon la façon dont nous l'expérimentons, à notre corps défendant ou volontairement, la sensation peut être très différente. Aujourd'hui, j'explore la face positive de la solitude en quelques exemples  qui m'ont interpellée lors de mes lectures.




Gao Xingjian a beaucoup voyagé dans son pays, la Chine, seul. Et ses livres, tout en nous racontant ses voyages, nous font vivre cette solitude, qui permet la rencontre des autres et une grande liberté. Elle est chemin spirituel.
"La solitude est encore plus une condition nécessaire de la liberté, et la liberté dépend avant tout de la capacité à pouvoir réfléchir librement; or c'est précisément quand il est seul que l'homme peut commencer à réfléchir."  Gao Xingjian




Rainer Maria Rilke fait l'éloge de la solitude dans ses Lettres à un jeune poète. Donnant des conseils au jeune homme qui voudrait devenir écrivain, il fait ici l'éloge de la solitude à celui qui se plaint d'être seul, dans sa vie et son travail. 

"Dites-vous bien : que serait une solitude qui ne serait pas une grande solitude ? La solitude est une : elle est par essence grande et lourde à porter. Presque tous connaissent des heures qu’ils échangeraient volontiers contre un commerce quelconque, si banal et médiocre fût-il, contre l’apparence du moindre accord avec le premier venu, même le plus indigne… Mais peut-être ces heures sont-elles précisément celles où la solitude grandit et sa croissance est douloureuse comme la croissance des enfants, et triste comme l’avant-printemps. N’en soyez pas troublé. Une seule chose est nécessaire: la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer durant des heures personne c’est à cela qu’il faut parvenir. Être seul comme l’enfant est seul quand les grandes personnes vont et viennent, mêlées à des choses qui semblent grandes à l’enfant et importantes du seul fait que les grandes personnes s’en affairent et que l’enfant ne comprend rien à ce qu’elles font."

Rainer Maria Rilke




Un autre grand voyageur, Sylvain Tesson, a exploré la solitude très intensément, au cours de ses voyages mais également lors de son séjour solitaire dans une cabane de Sibérie (Dans les forêts de Sibérie). 

"Jusqu'alors, j'avais cru Paul Valéry, lorsqu'il disait qu"un homme seul était en mauvaise compagnie." Avant de partir seul, je pensais que la solitude serait mon pire ennemi. Je ne la connaissais pas, et c'est en vérité une compagne merveilleuse. On devrait l'appeler Félicité. Elle est le plus beau cadeau que l'on puisse offrir à son âme. Elle maintient l'équilibre entre soi-même et le monde extérieur, elle renoue le lien entre l'être et le cosmos." Sylvian Tesson




Et pour conclusion, cette image puissante de Khalil Gibran :

Toute lutte dans la vie n'est que chaos qui aspire à l'ordre. La solitude est une tempête de silence qui arrache toutes nos branches mortes. Pourtant, elle implante nos racines dans les profondeurs du cœur vivant de la terre vivante."