dimanche 28 mars 2021

Un conte soufi

 Voici un conte soufi extrait du Mesnevi de Rumî, j'espère qu'il vous plaira. 



Le chameau perdu

Au moment où la caravane est arrivée pour faire étape, tu as égaré ton chameau. Tu le cherches partout. Finalement, la caravane repart sans toi et la nuit tombe. Tout ton chargement est resté à terre et tu demandes à chacun :

"Avez-vous vu mon chameau ?"

Tu ajoutes même :

"Je donnerai une récompense à qui me donnera des nouvelles de mon chameau."


Et tout le monde de se moquer de toi. L'un dit :

"Je viens de voir un chameau roux et bien gras. Il est parti dans cette direction."

Un autre :

"Ton chameau n'avait-il pas une oreille déchirée ?"

Un autre :

"N'avait-il pas un tapis brodé sur la selle ?"

Un autre encore :

"J'ai vu partir par là un chameau à l'œil crevé!"

Ainsi tout le monde te donne un signalement de ton chameau dans l'espoir de profiter de tes largesses.

Sur le chemin de la Connaissance, nombreux sont ceux qui évoquent les attributs de l'Inconnu. Mais toi, tu ne sais pas où est ton chameau, tu reconnais la fausseté de tous ces indices. Tu rencontres même des gens pour te dire :

"Moi aussi j'ai perdu mon chameau ! Cherchons ensemble !"

Et quand enfin vient quelqu'un qui te décrit vraiment ton chameau, ta joie ne connaît pas de bornes et tu fais de cet homme ton guide pour retrouver ton chameau.


Le Mesnevi de Rumî est un ensemble de contes inspirés de la vie quotidienne, de la tradition,  mais aussi des sourates du Coran pour délivrer une sagesse universelle accessible à tous. Ces contes soufis ont été écrits au XIIIe siècle.



dimanche 21 mars 2021

Paroles d'espoir

Je voulais vous parler de ce triste anniversaire de l'épidémie qui nous occupe tous. Je voulais faire la liste de ce que nous avons appris depuis un an de cette vie sous contrainte. Et puis, après avoir regardé la grande librairie qui évoquait la poésie et les contes, j'ai compris que c'est la poésie qui nous maintient vivants et pleins d'espoir.
J'ai donc réuni quelques paroles d'espoir pour ce début de printemps.


La voix


Une voix, une voix qui vient de si loin
Qu’elle ne fait plus tinter les oreilles.
Une voix, comme un tambour, voilée,
Parvient pourtant, distinctement, jusqu’à nous.

Bien qu’elle semble sortir d’un tombeau
Elle ne parle que d’été et de printemps.
Elle emplit le corps de joie,
Elle allume aux lèvres le sourire.

Je l’écoute. Ce n’est qu’une voix humaine
Qui traverse les fracas de la vie et des batailles,
L’écroulement du tonnerre et le murmure des bavardages.

Et vous ? Ne l’entendez-vous pas ?
Elle dit « La peine sera de courte durée. »
Elle dit « La belle saison est proche »

Ne l’entendez-vous pas ?

Robert Desnos


Tout est un,
La vague et la perle,
La mer et la pierre.
Rien de ce qui existe en ce monde,
N’est en dehors de toi,
Cherche bien en toi-même
Ce que tu veux être,
Puisque tu es tout.
L’histoire entière du monde
Sommeille en chacun de nous.

Rumî




Génies
éteints dans les larmes,
cœurs méconnus,
enfants désavoués,
proscrits innocents,
vous tous
qui êtes entrés dans la vie
par ses déserts,
vous qui partout avez trouvé
les visages froids,
les cœurs fermés,
les oreilles closes,
ne vous plaignez jamais !
Vous seuls pouvez connaître
l'infini de la joie
au moment où pour vous
un cœur s'ouvre,
une oreille vous écoute,
un regard vous répond.

Un Seul jour efface
les mauvais jours...

Honoré de Balzac




Si vous vous accrochez à la nature,
A ce qu’il y a de simple en elle, de petit,
A quoi presque personne ne prend garde,
Qui, tout à coup, devient l’infiniment grand,
L’incommensurable,
Si vous étendez votre amour
A tout ce qui est,
Si très humblement vous cherchez à gagner en serviteur
La confiance de ce qui semble misérable,
Alors tout vous semblera plus harmonieux
Et, pour ainsi dire, plus conciliant.

Rainer Maria Rilke



dimanche 14 mars 2021

Pensées pour notre monde


 Un retour vers le passé difficile des camps de concentration mais avec le message d'espoir et de paix d'Etty Hillesum, voilà ce que je vous propose cette semaine.

Les camps ont été pour Etty Hillesum le lieu de son élévation spirituelle et on ne peut qu'être subjugué par la force des pensées qu'elle exprime dans son journal et dans ses lettres.

En voici quelques-unes, elles nous parlent aujourd'hui encore d'un monde de paix et d'acceptation des autres.

"L'éventualité de la mort est intégrée à ma vie ; regarder la mort en face et l'accepter comme partie intégrante de la vie, c'est élargir cette vie. A l'inverse, sacrifier dès maintenant à la mort un morceau de cette vie, par peur de la mort et refus de l'accepter, c'est le meilleur moyen de ne garder qu'un pauvre petit bout de vie mutilée, méritant à peine le nom de vie. Cela semble un paradoxe : en excluant la mort de sa vie, on se prive d'une vie complète, et en l'accueillant on élargit et on enrichit sa vie."



"Il faut apprendre à vivre avec soi-même comme une foule de gens. On découvre alors en soi tous les bons et les mauvais côtés de l'humanité. Il faut d'abord apprendre à se pardonner ses défauts si l'on veut pardonner aux autres. C'est peut-être l'un des apprentissages les plus difficiles pour un être humain, je le constate bien souvent chez les autres (et autrefois je pouvais l'observer sur moi-même aussi, mais plus maintenant), que celui du pardon de ses propres erreurs, de ses propres fautes. La condition première en est de pouvoir accepter, et accepter généreusement, le fait même de commettre des fautes et des erreurs."



"Notre unique obligation morale, c'est de défricher en nous-même de vastes clairières de paix et de les étendre de proche en proche, jusqu'à ce que cette paix irradie vers les autres. Et plus il y aura de paix dans les êtres, plus il y en aura aussi dans ce monde en ébullition."



"La vie est si curieuse, si surprenante, si nuancée, et chaque tournant du chemin nous découvre une vue entièrement nouvelle. La plupart des gens ont une vision conventionnelle de la vie, or il faut s'affranchir intérieurement de tout, de toutes les représentations convenues, de tous les slogans, de toutes les idées sécurisantes, il faut avoir le courage de se détacher de tout, de toute norme et de tout critère conventionnel, il faut oser faire le grand bon dans le cosmos : alors la vie devient infiniment riche, elle déborde de dons, même au fond de la détresse."



dimanche 7 mars 2021

Chassez le surnaturel !



 J'adore ce poème ! Tout y est réussi : le rythme, la musique, le surnaturel. Il nous prend et nous tient en haleine puis nous relâche, doucement, sur la rive de la nuit. J'en admire la composition, très originale. On se fait peur et on revient au silence.



Les Djinns

Murs, ville,
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.

Dans la plaine
Naît un bruit.
C'est l'haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu'une flamme
Toujours suit !

La voix plus haute
Semble un grelot.
D'un nain qui saute
C'est le galop.
Il fuit, s'élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d'un flot.

La rumeur approche.
L'écho la redit.
C'est comme la cloche
D'un couvent maudit ;
Comme un bruit de foule,
Qui tonne et qui roule,
Et tantôt s'écroule,
Et tantôt grandit,

Dieu ! la voix sépulcrale
Des Djinns !... Quel bruit ils font !
Fuyons sous la spirale
De l'escalier profond.
Déjà s'éteint ma lampe,
Et l'ombre de la rampe,
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu'au plafond.

C'est l'essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant !
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau, lourd et rapide,
Volant dans l'espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.

Ils sont tout près ! - Tenons fermée
Cette salle, où nous les narguons.
Quel bruit dehors ! Hideuse armée
De vampires et de dragons !
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée
Tremble, à déraciner ses gonds !

Cris de l'enfer! voix qui hurle et qui pleure !
L'horrible essaim, poussé par l'aquilon,
Sans doute, ô ciel ! s'abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l'on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu'il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon !

Prophète ! si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J'irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs !
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d'étincelles,
Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs !

Ils sont passés ! - Leur cohorte
S'envole, et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L'air est plein d'un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés !

De leurs ailes lointaines
Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l'on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d'une voix grêle,
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d'un vieux toit.

D'étranges syllabes
Nous viennent encor ;
Ainsi, des arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s'élève,
Et l'enfant qui rêve
Fait des rêves d'or.

Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leurs pas ;
Leur essaim gronde :
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu'on ne voit pas.

Ce bruit vague
Qui s'endort,
C'est la vague
Sur le bord ;
C'est la plainte,
Presque éteinte,
D'une sainte
Pour un mort.

On doute
La nuit...
J'écoute : -
Tout fuit,
Tout passe
L'espace
Efface
Le bruit.

Victor Hugo