Cette semaine, Bruno Latour était invité à la Grande Librairie et son discours est stimulant. Depuis pas mal d'années, il cherche à nous montrer comment avancer à travers la crise climatique. Son nouveau livre :" Où suis-je ?" continue à nous y confronter avec un cataclysme de plus : la pandémie de Covid 19.
A la suite de l'émission, je vais lire son livre. Ces penseurs qui nous font réfléchir autrement nous apportent tellement pour la compréhension de notre monde ! Il faut lire aussi son précédent livre : "Où atterrir ?" écrit avant la pandémie. Nous sommes à un moment où nous pouvons définir le monde que nous voulons et si nos valeurs principales ne sont plus l'économie ou la croissance, nous aurons vraiment réussi une révolution !
En attendant mes impressions sur le livre, voici un article paru dans Telerama (écrit par Weronika Zarachowicz) :
En 2017, le philosophe, sociologue et anthropologue des sciences Bruno Latour publiait Où atterrir ?, percutant essai consacré au grand désarroi né de la mutation climatique. Où suis-je ?, son dernier opus, affiche un nouveau point d’interrogation, ainsi qu’une hypothèse : une pandémie plus tard, nous avons atterri, nous nous sommes même « crashés » à la faveur d’un confinement à répétition. L’épreuve est violente, mais elle offre aussi une « chance » d’y voir plus clair, nous assure-t-il dans ce « rapport d’après-crash… ». Comme « si le confinement imposé par le virus pouvait servir de modèle pour nous familiariser avec le confinement généralisé imposé par ce qu’on appelle d’un doux euphémisme la ‘‘crise écologique’’ » mais qui est bel et bien « une mutation cosmologique » : « tu n’as plus le même corps et tu ne te déplaces plus dans le même monde que tes parents ».
Voilà plusieurs décennies que Bruno Latour explore les contours du « nouveau régime climatique » au fil d’une œuvre majeure et profondément originale, empruntant les chemins de l’histoire des sciences, de la philosophie politique, de la théologie, des arts (notamment via le théâtre, avec Frédérique Aït-Touati). Où suis-je ? en reprend plusieurs axes en treize chapitres vivifiants et denses. Une fois de plus, il est ici question d’apprivoiser la métamorphose de nos conditions d’existence. Et de penser ce moment de notre histoire, tragiquement passionnant, semblable à ce que l’Occident vécut à la Renaissance, après Copernic et Newton. « Il a fallu tout reprendre : le droit, la politique, l’architecture, la poésie, la musique, l’administration, et bien sûr les sciences pour encaisser cette première métamorphose. Pour accepter que la Terre, devenue planète parmi d’autres, se mette à tourner. »
Cette fois, le défi ne consiste plus à aller de l’avant vers l’infini mais, au contraire, à « apprendre à reculer, à déboîter, devant le fini ». C’est, écrit Bruno Latour, « une autre manière de s’émanciper ». Comment ? On ne trouvera pas ici de désignation des rapports de force et de domination nés du capitalisme néolibéral, mais une expérience de pensée « métaphysique » face aux évidences du monde à l’ancienne qui nous désagrègent, nous et la Terre où nous vivons : un monde dominé par une vision binaire opposant société d’un côté, nature de l’autre (vue comme décor et stock de ressources), et confiné dans une « voie du progrès » indifférente au sort de la planète. Dans ce texte aux accents souvent intimes, Latour nous invite à « tâtonner », humblement mais fermement, en apprenant à renoncer à notre insouciance mais surtout à composer avec nos vulnérabilités, nos interdépendances, nos interactions (avec toutes sortes d’humains et non-humains, parfois situés à des milliers de kilomètres, par exemple quand les bouffées de méthane émanant de nos steaks saignants accélèrent la crise et contribuent aux inondations dans les Landes ou au Maroc…).
Car si nous sommes toujours sur la même Terre, nous en découvrons aujourd’hui un autre visage, qu’on le nomme « Gaïa » (concept développé par les scientifiques James Lovelock et Lynn Margulis, devenu central dans la pensée de Latour), « zone critique » ou « Terre ». Non plus seulement une planète tournant, parmi d’autres, autour du Soleil, mais « une entité singulière et complexe », pour reprendre le philosophe Patrice Maniglier dans un stimulant ouvrage collectif consacré à Latour (1) , et dont l’équilibre physico-chimique résulte de l’ensemble des formes de vie (humains, bactéries, moisissures, oiseaux ou arbres) et de leur inextricable réseau d’interactions. Alors, oui, il est grand temps de regarder cette chère vieille-nouvelle Terre en face, « pour ne pas devenir fou pour de bon ».