dimanche 31 janvier 2021

Quel monde ?

 Cette semaine, Bruno Latour était invité à la Grande Librairie et son discours est stimulant. Depuis pas mal d'années, il cherche à nous montrer comment avancer à travers la crise climatique. Son nouveau livre :" Où suis-je ?" continue à nous y confronter avec un cataclysme de plus : la pandémie de Covid 19. 


A la suite de l'émission, je vais lire son livre. Ces penseurs qui nous font réfléchir autrement nous apportent tellement  pour la compréhension de notre monde ! Il faut lire aussi son précédent livre : "Où atterrir ?" écrit avant la pandémie. Nous sommes à un moment où nous pouvons définir le monde que nous voulons et si nos valeurs principales ne sont plus l'économie ou la croissance, nous aurons vraiment réussi une révolution ! 

En attendant mes impressions sur le livre, voici un article paru dans Telerama (écrit par Weronika Zarachowicz) :

En 2017, le philosophe, sociologue et anthropologue des sciences Bruno Latour publiait Où atterrir ?, percutant essai consacré au grand désarroi né de la mutation climatique. Où suis-je ?, son dernier opus, affiche un nouveau point d’interrogation, ainsi qu’une hypo­thèse : une pandémie plus tard, nous avons atterri, nous nous sommes même « crashés » à la faveur d’un confinement à répétition. L’épreuve est violente, mais elle offre aussi une « chance » d’y voir plus clair, nous assure-t-il dans ce « rapport d’après-crash… ». Comme « si le confinement imposé par le virus pouvait servir de modèle pour nous familiariser avec le confinement généralisé imposé par ce qu’on appelle d’un doux ­euphémisme la ‘‘crise écologique’’ » mais qui est bel et bien « une mutation cosmologique » : « tu n’as plus le même corps et tu ne te déplaces plus dans le même monde que tes parents ».



Voilà plusieurs décennies que ­Bruno Latour explore les contours du « nouveau régime climatique » au fil d’une œuvre majeure et profondément originale, empruntant les chemins de l’histoire des sciences, de la philosophie politique, de la théologie, des arts (notamment via le théâtre, avec Frédérique Aït-Touati). Où suis-je ? en reprend plusieurs axes en treize chapitres vivifiants et denses. Une fois de plus, il est ici question d’apprivoiser la métamorphose de nos conditions d’existence. Et de penser ce moment de notre histoire, tragiquement passionnant, semblable à ce que l’Occident vécut à la Renaissance, après Copernic et Newton. « Il a fallu tout reprendre : le droit, la politique, l’architecture, la poésie, la musique, l’administration, et bien sûr les sciences pour encaisser cette première métamorphose. Pour accepter que la Terre, devenue planète parmi d’autres, se mette à tourner. »

Cette fois, le défi ne consiste plus à aller de l’avant vers l’infini mais, au contraire, à « apprendre à reculer, à ­déboîter, devant le fini ». C’est, écrit Bruno Latour, « une autre manière de s’émanciper ». Comment ? On ne trouvera pas ici de désignation des rapports de force et de domination nés du capitalisme néolibéral, mais une expérience de pensée « métaphysique » face aux évidences du monde à l’ancienne qui nous désagrègent, nous et la Terre où nous vivons : un monde dominé par une vision binaire opposant société d’un côté, nature de l’autre (vue com­me décor et stock de ressources), et con­finé dans une « voie du progrès » indifférente au sort de la planète. Dans ce texte aux accents souvent intimes, ­Latour nous invite à « tâtonner », humblement mais fermement, en apprenant à renoncer à notre insouciance mais surtout à composer avec nos vul­né­rabilités, nos interdépendances, nos interactions (avec toutes sortes d’humains et non-humains, parfois ­situés à des milliers de kilomètres, par exemple quand les bouffées de méthane émanant de nos steaks saignants accélèrent la crise et contribuent aux inondations dans les Lan­des ou au Maroc…).


Car si nous sommes toujours sur la même Terre, nous en découvrons aujourd’hui un autre visage, qu’on le nomme « Gaïa » (concept développé par les scientifiques James Lovelock et Lynn Margulis, devenu central dans la pensée de Latour), « zone critique » ou « Terre ». Non plus seulement une planète tournant, parmi d’autres, autour du Soleil, mais « une entité singulière et complexe », pour reprendre le philosophe Patrice Maniglier dans un stimulant ouvrage collectif consacré à Latour (1) , et dont l’équilibre physico-chimique résulte de l’ensemble des formes de vie (humains, bactéries, moi­sissures, oiseaux ou arbres) et de leur inextricable réseau d’interactions. Alors, oui, il est grand temps de regarder cette chère vieille-nouvelle Terre en face, « pour ne pas devenir fou pour de bon ».


Voici aussi cette citation de Bruno Latour qui explique notre sidération pour le nouveau virus :
"L'apprentissage, c'est que le genre d'êtres avec lesquels nous sommes appelés à vivre, et à survivre, ressemblent davantage au Covid qu'à ceux que l'on imaginait avant, avec des bords bien clairs et qui ne réagissaient pas avec violence à nos actions, des "objets" au sens de la tradition. Je pense que c'est cela que nous sommes en train de vivre." Bruno Latour


dimanche 24 janvier 2021

Histoire simple

Décidément, les histoires zen m'attirent à elles en ce moment. Peut-être est-ce leur côté terre à terre et leur humour qui me paraissent si sympathiques et sans prétention.

Voici donc une histoire qui montre que l'on peut devenir maître malgré soi…


Un moine qui s'était baptisé lui-même "le maître du silence" était en réalité un mystificateur qui n'entendait rien au zen. Pour mieux duper les gens, il avait à son service deux moines éloquents qui répondaient pour lui aux questions qu'on lui posait, tandis que lui-même n'ouvrait jamais la bouche, comme pour justifier son nom.

Un jour, alors que ses acolytes étaient absents, il reçut la visite d'un moine pèlerin qui lui demanda :

- Maître, qu'est-ce que le Bouddha ?

Ne sachant que faire ni que dire, le pseudo "maître du silence" regarda dans toutes les directions, cherchant ses complices.

Le pèlerin, apparemment satisfait, lui demanda alors :

- Qu'est-ce que le dharma ?

Toujours aussi embarrassé, notre homme leva les yeux vers le plafond puis les baissa vers le sol, appelant à son aide le ciel et l'enfer.

Le pèlerin demanda encore :

- Qu'est-ce que le sangha ?

"Le maître du silence" se contenta de fermer les yeux.

Le pèlerin lui demanda enfin :

- Qu'est-ce que la grâce ?

Abandonnant tout espoir, le "maître du silence" ouvrit les bras en signe de capitulation.


                                   


Sur quoi le moine pèlerin s'en alla, manifestement enchanté de sa visite.

En cours de route, il rencontra les deux acolytes du "maître du silence" et il se mit à leur parler de lui en termes enthousiastes. Voici ce qu'il leur dit :

- Je lui ai demandé ce qu'était le Bouddha, et aussitôt il s'est tourné vers l'est et vers l'ouest pour me faire entendre que les humains cherchent sans cesse le Bouddha là où il n'est pas. Ensuite, je lui ai demandé ce qu'était le dharma, et pour me répondre il a regardé vers le haut et vers le bas, me signifiant ainsi que la vérité du dharma est un tout, où il ne faut faire aucune discrimination entre le haut et le bas, la pureté et l'impureté y étant également partagées. Pour répondre à ma question, sur le sangha, il a fermé les yeux sans rien dire, me rappelant ainsi le fameux dicton : "Celui qui peut fermer les yeux et dormir profondément dans les gorges profondes des montagnes, celui-là est un grand moine". Enfin, en réponse à ma dernière question : "Qu'est-ce que la grâce ?" Il a ouvert les bras et m'a montré ses deux mains, pour me faire comprendre que la grâce est une bénédiction guidant les êtres sur le chemin de la vie... Oh ! Quel maître éclairé ! Et que son enseignement est profond !


                      

Lorsque les deux moines furent rentrés, le "maître du silence" les gourmanda vivement.

- Où donc traîniez-vous encore ? Leur dit-il. Il y a une heure, un pèlerin qui m'a accablé de questions m'a mis dans un embarras mortel, où j'ai failli perdre ma réputation !


Fichier hébergé par Archive-Host.com


dimanche 17 janvier 2021

La beauté irradie

 Nous en avons bien besoin. La beauté parle à notre âme et nous donne à voir une présence, derrière les phénomènes. Et cela nous donne une confiance sincère en la force de la vie.

Voici donc quelques paroles de François Cheng, extraites de Cinq méditations sur la beauté, un livre qu'il fait bon relire lorsqu'on se sent désarçonné par les difficultés du moment !


« Le mal, on sait ce que c'est, surtout celui que l'homme inflige à l'homme. Du fait de son intelligence et de sa liberté, quand il s'enfonce dans la haine et la cruauté, il peut creuser des abîmes pour ainsi dire sans fond. « 



« En ces temps de misères omniprésentes, de violences aveugles, de catastrophes naturelles ou écologiques, parler de la beauté pourra paraître incongru, inconvenant, voire provocateur. Presque un scandale. Mais en raison de cela même, on voit qu'à l'opposé du mal, la beauté se situe bien à l'autre bout d'une réalité à laquelle nous avons à faire face. Je suis persuadé que nous avons pour tâche urgente, et permanente, de dévisager ces deux mystères qui constituent les extrémités de l'univers vivant : d'un côté, le mal; de l'autre, la beauté. «






« Lorsque, devant une scène de la nature, un arbre qui fleurit, un oiseau qui s'envole en criant, un rayon de soleil ou de lune qui éclaire un moment de silence, soudain, on passe de l'autre côté de la scène. On se trouve alors au-delà de l'écran des phénomènes, et l'on éprouve l'impression d'une présence qui va de soi, qui vient à soi, entière, indivise, inexplicable et cependant indéniable, tel un don généreux qui fait que tout est là, miraculeusement là, diffusant une lumière couleur d'origine, murmurant un chant natif de cœur à cœur, d'âme à âme. »





« Lors même que les pétales seraient flétris et tombés au sol, le parfum planerait là, dans la mémoire, rappelant que ces pétales, mêlés à l'humus, renaîtront sous la forme d'une autre rose, que, du visible à l'invisible, et de l'invisible au visible, l'ordre de la vie se poursuit par la voie de la transformation universelle. »



« La bonté est garante de la qualité de la beauté.

La beauté irradie la bonté et la rend désirable. »  


dimanche 10 janvier 2021

Histoire zen

Pour bien démarrer l'année, voici une histoire zen comme je les affectionne.
Vous remarquerez  encore une fois que l'éveil (ou satori) n'est pas si difficile à obtenir et que les maîtres ont de drôles de façon d'y conduire leurs disciples ! 


Le peintre et le samouraï

Le daimyo Nobumitsu était un disciple laïque du maître zen Ekichu. Le moine avait aussi la réputation d'être un peintre inspiré et ses œuvres étaient fort prisées. Le samouraï vint un jour lui rendre visite dans son monastère de Jufukuji pour lui commander quelques peintures sur des thèmes qu'il affectionnait.

_ Veuillez, je vous prie, me peindre quelque chose qui illustrerait un extrait du célèbre poème :

    Après avoir chevauché parmi les fleurs,

    Le sabot du cheval est parfumé.

Le moine prit son pinceau et il brossa en quelques traits habiles un papillon posé sur un sabot.

Le seigneur Nobumitsu cita ensuite les fameux vers :

    La brise printanière souffle

   Sur la berge de la rivière

Le maître peignit alors une branche de saule qui ondulait dans le vent.

L'amateur de peinture, de plus en plus admiratif du talent et de la spontanéité dont faisait preuve l'artiste, lui demanda encore d'illustrer ce poème zen :

    Un doigt pointé sur le cœur humain

    Indique la vraie nature du Bouddha.

Ekichu secoua son pinceau et le visage de Nobumitsu fut éclaboussé par quelques gouttes d'encre. Surpris et irrité, le fier daimyo eut un rictus d'agacement et le maître l'immortalisa sur le papier. Cela fit sourire le samouraï qui insista alors pour avoir une peinture qui illustrerait cette "nature du Bouddha."

_ Montre-moi ta vraie nature et je la peindrai, déclara le maître. 

le samouraï voulut encore ouvrir la bouche mais le moine attrapa son pinceau des deux mains et gishi-gishi le brisa.

Et, dans le silence qui suivit la plainte du bambou, le disciple connut son premier satori.



Celui qui est

Pénétré 

de toutes choses

Pourra se dispenser

De sortir son sabre inconsidérément.

(Ueshiba)





dimanche 3 janvier 2021

Une année nouvelle

Une nouvelle année à écrire, à vivre et à expérimenter : voilà ce qui nous attend. Et puisque maintenant, nous avons une certaine expérience du chaos, nous allons pouvoir créer.


Toute l'équipe de l'association Altaïr et Sylvie Lafuente Sampietro se joignent à moi pour vous souhaiter une belle année ! Une année où nous devrions retrouver notre liberté et pouvoir avancer à nouveau dans nos vies.
Une année pour faire des projets d'avenir et pour imaginer le futur.

Nous suivrons tout cela avec vous et nous chercherons à vous proposer les activités adaptées à ce qui est possible.




Et pour rêver à des jours nouveaux, voici un poème où l'on passe du rêve à l'éveil, de la réalité au sommeil, allongé dans l'herbe.


Kaléidoscope
(Paul Verlaine)


À Germain Nouveau.

Dans une rue, au cœur d’une ville de rêve
Ce sera comme quand on a déjà vécu :
Un instant à la fois très vague et très aigu…
Ô ce soleil parmi la brume qui se lève !

Ô ce cri sur la mer, cette voix dans les bois !
Ce sera comme quand on ignore des causes ;
Un lent réveil après bien des métempsycoses :
Les choses seront plus les mêmes qu’autrefois

Dans cette rue, au cœur de la ville magique
Où des orgues moudront des gigues dans les soirs,
Où les cafés auront des chats sur les dressoirs
Et que traverseront des bandes de musique.

Ce sera si fatal qu’on en croira mourir :
Des larmes ruisselant douces le long des joues,
Des rires sanglotés dans le fracas des roues,
Des invocations à la mort de venir,

Des mots anciens comme un bouquet de fleurs fanées !
Les bruits aigres des bals publics arriveront,
Et des veuves avec du cuivre après leur front,
Paysannes, fendront la foule des traînées

Qui flânent là, causant avec d’affreux moutards
Et des vieux sans sourcils que la dartre enfarine,
Cependant qu’à deux pas, dans des senteurs d’urine,
Quelque fête publique enverra des pétards.

Ce sera comme quand on rêve et qu’on s’éveille,
Et que l’on se rendort et que l’on rêve encor
De la même féerie et du même décor,
L’été, dans l’herbe, au bruit moiré d’un vol d’abeille.


Belle année 2021 à vous !