dimanche 29 avril 2018

Booz endormi



Booz endormi


Booz s'était couché de fatigue accablé ;
Il avait tout le jour travaillé dans son aire ;
Puis avait fait son lit à sa place ordinaire ;
Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé.

Ce vieillard possédait des champs de blés et d'orge ;
Il était, quoique riche, à la justice enclin ;
Il n'avait pas de fange en l'eau de son moulin ;
Il n'avait pas d'enfer dans le feu de sa forge.

Sa barbe était d'argent comme un ruisseau d'avril.
Sa gerbe n'était point avare ni haineuse ;
Quand il voyait passer quelque pauvre glaneuse :
- Laissez tomber exprès des épis, disait-il.

Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques,
Vêtu de probité candide et de lin blanc ;
Et, toujours du côté des pauvres ruisselant,
Ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques.

Booz était bon maître et fidèle parent ;
Il était généreux, quoiqu'il fût économe ;
Les femmes regardaient Booz plus qu'un jeune homme,
Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand.

Le vieillard, qui revient vers la source première,
Entre aux jours éternels et sort des jours changeants ;
Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l'oeil du vieillard on voit de la lumière.

Donc, Booz dans la nuit dormait parmi les siens ;
Près des meules, qu'on eût prises pour des décombres,
Les moissonneurs couchés faisaient des groupes sombres ;
Et ceci se passait dans des temps très anciens.

Les tribus d'Israël avaient pour chef un juge ;
La terre, où l'homme errait sous la tente, inquiet
Des empreintes de pieds de géants qu'il voyait,
Etait mouillée encore et molle du déluge.

Comme dormait Jacob, comme dormait Judith,
Booz, les yeux fermés, gisait sous la feuillée ;
Or, la porte du ciel s'étant entre-bâillée
Au-dessus de sa tête, un songe en descendit.

Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne
Qui, sorti de son ventre, allait jusqu'au ciel bleu ;
Une race y montait comme une longue chaîne ;
Un roi chantait en bas, en haut mourait un dieu.

Et Booz murmurait avec la voix de l'âme :
" Comment se pourrait-il que de moi ceci vînt ?
Le chiffre de mes ans a passé quatre-vingt,
Et je n'ai pas de fils, et je n'ai plus de femme.

" Voilà longtemps que celle avec qui j'ai dormi,
O Seigneur ! a quitté ma couche pour la vôtre ;
Et nous sommes encor tout mêlés l'un à l'autre,
Elle à demi vivante et moi mort à demi.

" Une race naîtrait de moi ! Comment le croire ?
Comment se pourrait-il que j'eusse des enfants ?
Quand on est jeune, on a des matins triomphants ;
Le jour sort de la nuit comme d'une victoire ;

Mais vieux, on tremble ainsi qu'à l'hiver le bouleau ;
Je suis veuf, je suis seul, et sur moi le soir tombe,
Et je courbe, ô mon Dieu ! mon âme vers la tombe,
Comme un boeuf ayant soif penche son front vers l'eau. "

Ainsi parlait Booz dans le rêve et l'extase,
Tournant vers Dieu ses yeux par le sommeil noyés ;
Le cèdre ne sent pas une rose à sa base,
Et lui ne sentait pas une femme à ses pieds.

Pendant qu'il sommeillait, Ruth, une moabite,
S'était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,
Espérant on ne sait quel rayon inconnu,
Quand viendrait du réveil la lumière subite.

Booz ne savait point qu'une femme était là,
Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d'elle.
Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle ;
Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.

L'ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;
Les anges y volaient sans doute obscurément,
Car on voyait passer dans la nuit, par moment,
Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.

La respiration de Booz qui dormait
Se mêlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse.
On était dans le mois où la nature est douce,
Les collines ayant des lys sur leur sommet.

Ruth songeait et Booz dormait ; l'herbe était noire ;
Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;
Une immense bonté tombait du firmament ;
C'était l'heure tranquille où les lions vont boire.

Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l'ombre
Brillait à l'occident, et Ruth se demandait,

Immobile, ouvrant l'oeil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l'éternel été,
Avait, en s'en allant, négligemment jeté
Cette faucille d'or dans le champ des étoiles.

Victor Hugo (La légende des siècles)


dimanche 22 avril 2018

Un conte et sa leçon

Une histoire d'origine chinoise racontée par Alexandre Jodorowsky. Dans "La sagesse des contes", il nous présente le conte suivi de la leçon que l'on peut en tirer. C'est souvent utile et parfois je ne tire pas la même leçon que lui mais ici, c'est assez simple à comprendre. Je vous livre néanmoins le conte et sa morale !



Le jeune peintre

"Un jeune homme, voulant devenir artiste peintre, vient trouver un grand maître. Celui-ci lui demande de peindre et d'apporter son tableau. Lorsqu'il l'a terminé, le jeune homme le montre au vieux, qui lui dit :
"Qu'en penses-tu ? As-tu réussi ton oeuvre ?
_ J'attends que vous me le disiez, répond le garçon, pas très sûr de lui.
_ Tu n'y es pas encore arrivé !"
Tristement, le garçon retourne dans sa chambre et commence un autre tableau. Lorsqu'il le termine, il revient voir le vieux.
"Qu'en penses-tu ? As-tu réussi ton oeuvre ?
_ J'attends que vous me le disiez.
_ Tu n'y es pas encore arrivé !"
La même scène se répète ainsi pendant plusieurs années. Un jour, enfin, l'élève a la sentiment d'avoir réalisé une peinture qui a de la valeur. Satisfait, il la porte à son maître. Celui-ci l'examine attentivement, puis comme toujours, il lui demande :
"Qu'en penses-tu ? As-tu réussi ton oeuvre ?
_ Cette fois, je crois que je l'ai réussie, mais j'attends que vous me le disiez.
_ Je dois y réfléchir, étudier ton tableau. Reviens demain."
Tout heureux, le jeune peintre va au café où se réunissent les autres élèves et commente avec chacun les qualités de son oeuvre. L'un d'eux lui dit :
"Je ne vois pas pourquoi tu es tellement content de toi. Je viens de parler avec le vieux et il n'a pas cessé de critiquer ton tableau. D'après lui, il n'a aucune valeur."
Le peintre, furieux, court à la maison du maître et, le voyant, il lui crie :
"Comment pouvez-vous parler ainsi de mon tableau ? C'est injuste : je suis sûr que vous savez qu'il est réussi, c'est une oeuvre d'art ! Je n'admets pas que vous le démolissiez ! Je n'admets pas que vous disiez du mal d'un tableau que j'aime !"
Le vieux sourit et lui répond :
"Enfin, tu y es arrivé !"




Lorsque, dans une lecture du Tarot, une personne me demande :
"Est-ce que j'aime cette personne ?" je lui réponds : "Comment peux-tu demander à des bouts de carton imprimé de te dire si tu aimes ou non ? Si tu aimais vraiment, l'univers entier aurait beau te dire que c'est faux, tu ne cesserais pas pour autant d'éprouver ce sentiment ! Si tu n'en n'as pas l'intime certitude, ton amour n'est pas véritable !"
Tant que le jeune peintre se préoccupe de ce que l'autre pense de son oeuvre, il ne croit pas en lui-même. Il n'a pas de certitude... Il s'agit de vaincre le grand juge implacable que la famille, la société et la culture nous ont implanté dans le cerveau. Plus important que le jugement des autres, il y a le jugement que nous portons sur nous-mêmes. Qu'importe qu'on nous dise que ce que nous faisons est mauvais, ce qui importe, c'est que nous aimions notre oeuvre ! La plus grande oeuvre d'art consiste à développer notre âme. Et pour cela, nous devons apprendre à nous aimer.



dimanche 15 avril 2018

Tagore et Mâ

Partons pour l'Inde avec Rabindranath Tagore. J'ai été séduite par sa voix et par la lumière de ses mots. Ce poème-ci en particulier nous parle si bien de notre condition d'humains chercheurs de sens. Tout est là et rien n'est perdu, c'est magnifique.



"Ce jeu qui est le tien 
C'est de nous balancer
Au rythme d'une mélodie silencieuse
De nous balancer sur ta balançoire.
Tu nous fais monter jusqu'à la lumière
Et brusquement tu nous précipites
Au fond des ténèbres.
Quand la balançoire remonte
Ce sont des rires joyeux.
Quand elle redescend,
ce sont des cris de peur.
Ce trésor qui est le tien
Tu le fais passer de ta main droite
à ta main  gauche
Et encore et encore.
Assis dans la solitude
Tu rassembles les soleils et les lunes
Et tu les fais tourner sans cesse
Tu les dévoiles et ils sont nus
Puis tu les habilles d'un voile
qui nous les cache.
Croyant que les trésors
de notre cœur
nous ont été arrachés
nous pleurons des larmes inutiles.
Mais tout est plein et complet
Rien n'a été perdu.
Il n'y a que la balançoire
Sans cesse, qui va et qui vient."
Rabindranath Tagore




Continuons avec l'Inde et cette grande figure qu'est Mâ. Une autre manière de nous dire que tout est en nous.
"L'appeler à grands cris n'est jamais vain et il faut continuer à prier tant que vous n'avez reçu aucune réponse. Ce n'est que le Soi qui s'appelle lui-même, et nul autre que le Soi ne se réalise Lui-même. Une prière incessante permet de trouver celui qui est la totalité (akhanda)."
Mâ Ananda Moyî



Terminons avec Rabindranath Tagore, et cette phrase que je trouve splendide, elle nous donne une clé, la clé de la joie :
"Je dormais et je rêvais que la vie n'était que joie. Je m'éveillai et je vis que la vie n'est que service. Je servis et je compris que le service est joie." Rabindranath Tagore

dimanche 8 avril 2018

Programme du trimestre

Comme chaque trimestre,  l'association Altaïr vous propose des activités que nous avons plaisir à vous présenter.
Ce trimestre, nous avons prévu une soirée étoilée le 1er mai. Vous savez que nous les aimons particulièrement. Et même si la météo nous oblige parfois à les annuler ou les reporter, nous tenons à les continuer car ce sont de très beaux moments. 



Puis, le 6 juin, Sylvie Lafuente Sampietro animera un atelier d'astrologie interactif. Ces ateliers sont l'occasion de découvrir comment nous vivons un sujet particulier, ici le féminin, à travers notre thème natal. Celui-ci sert de base à notre exploration et nous sommes guidés tout au long de la soirée par Sylvie lafuente Sampietro. Que vous connaissiez ou non l'astrologie, c'est une belle opportunité d'en savoir un peu plus sur vous-mêmes.



Et nous avons toujours dans notre local, l'exposition des œuvres de Myrrha, que vous pouvez découvrir lors des séances d'ouverture au public dont les dates vous sont précisées ci-dessous.
L'exposition se terminera fin juin, profitez de ces dates pour venir nous rendre visite !




Nous vous souhaitons un très beau trimestre, nous espérons vous retrouver pour ces manifestations où nous serons très heureux de vous accueillir.

dimanche 1 avril 2018

Poésie de l'instant

Des poèmes courts qui à chaque fois expriment l'essentiel : la beauté du moment, une sensation ou un sentiment fugitif suggéré par la nature. Les haïkus.
"Lisons. Écoutons cette façon inimitable de faire sourdre l'invisible. Comme une perception accélérée de l'instant. Comme si la nature, tout soudain, prenait la parole à la place de l'homme, telle une extension de lui-même et de ses émotions. Le poète contemple la lune (ou serait-ce l'inverse ?) _ leurs visages se reflètent jusqu'à se confondre. Voici le monde offert pour ce qu'il est : un espace où s'entretissent infiniment tristesse et beauté."





Une nuit au temple _
la lune
au plus clair de mon visage
Bashô
"Absorbons ces poèmes qui font écho au souhait rilkien d'"entendre chanter les choses." Des poèmes lâcher-prise, écrits par des fous de poésie. Ils n'imposent rien, ils offrent, ils tendent, ils éclosent. Ils disent une "reconnaissance" . Ils sont une "folle sagesse"mise en poésie." (extrait de la préface du livre : Haïku par Corinne Atlan et Zeno Bianu)




A la surface de l'eau
des sillons de soie_
pluie de printemps
Ryôkan

Vieil étang _
au plongeon d'une grenouille
l'eau se brise
Bashô

Valsent les papillons_
je parle
avec les morts
Yokoyama Hakkô




Une autre forme de poème court mis à l'honneur récemment par François Cheng permet aussi la fulgurance. Il est peut-être plus adapté à la langue française, qui rend difficile la traduction du japonais. François Cheng sait merveilleusement associer sa culture chinoise avec la culture française, en particulier dans ces quatrains..

De flamme et d'azur
Alouette au chant pur,
D'un bond, tu accèdes
A la plus haute fête !



La nature en nous, ouvre ses métamorphoses,
Lys s'éveillant nuage, et dragon phénix.
Monts et mers, vaste réserve inépuisable,
Qu'englobe pourtant ce cœur nôtre, infime.