samedi 31 août 2013

L'année 2014



Lorsqu'arrive la fin du mois d'août, nous préparons les informations sur nos activités de la rentrée, avec en particulier la conférence d'astrologie mondiale. Ce moment important de la fin d'année durant lequel Sylvie Lafuente Sampietro nous fait partager les principaux  moments des cycles planétaires de l'année à venir est en effet très attendu.
J'aime particulièrement découvrir le texte qui accompagne l'annonce de la conférence. C'est déjà un avant-goût de l'année à venir, un parfum de ce qui nous attend.
Cette année, en le lisant, j'ai eu un vrai coup de coeur, ce petit texte m'a interpellée. Il m'a semblé s'adapter totalement à la période que nous vivons. Le voici donc, pour que vous puissiez vous faire votre opinion :


"De l'ombre, faire jaillir la lumière."

"L’année 2014 se profile comme un défi où il s’agit d’oser une vision d’avenir en tenant compte de l’ombre du passé et de notre humanité. A travers le cycle de Pluton et Uranus, nous éclairerons le tournant actuel du monde. Depuis leur conjonction de 1966, une révolution intellectuelle et technologique est en marche qui modifie radicalement l’équilibre ancien et notre façon de penser. De 2012 à 2015, il s’agit de passer une crise pour donner forme à ce nouveau  monde à travers des projets respectueux pour les communautés humaines.  Pour chacun d’entre nous, ce passage est un défi et nous demande une capacité d’adaptation et de créativité sans précédent. Comment intégrer nos ombres et transformer notre passif ? Comment répondre aux tensions par la créativité ? Comment faire des projets d’avenir dans l’insécurité ? Comment laisser jaillir la lumière et l’amour à travers l’obscurité ? "




Voilà une nouvelle fois une année qui s'annonce riche de quantités de défis. Cette période de révolution se présente à la fois comme difficile et pleine de menaces et en même temps tellement intéressante et prometteuse pour l'avenir. L'astrologie nous permet de remettre les événements du monde en perspective et de comprendre les enjeux du moment. Cela enlève le fatalisme et nous redonne la responsabilité de notre rôle personnel. Et transformer l'ombre en lumière est un splendide défi !



Rendez-vous pour la suite le 6 décembre !

dimanche 18 août 2013

La musique des contes

Un beau conte est comme une belle musique : il nous emporte et nous laisse émerveillés. Voici donc un conte qui parle de musique : l'émerveillement en sera-t-il doublé ?
Je l'espère. Il est raconté par Henri Gougaud dans "L'arbre d'amour et de sagesse".





La musique du cœur du monde

Il était trois sœurs, belles, pauvres. Elles travaillaient nuit et jour. Il était un roi nuit et jour inquiet. Dès le soir venu, il allait en ville, déguisé en gueux, il écoutait les gens dire parfois du bien, parfois du mal de lui. Or un soir il vint à passer dans la maison des sœurs  laborieuses. Par un soupirail il vit leur chandelle, entendit leurs voix monter dans l'air doux. Il tendit l'oreille.
_ Moi, dit l'aînée, si le roi voulait me prendre pour femme, je l'aimerais tant que pour lui je tisserais un tapis plus grand que les mers du monde.
_ Moi, disait la deuxième, je ferais pour lui un abri de toile assez souple et grand pour envelopper une armée entière.
_ Si le roi voulait me prendre pour femme, disait la troisième, je lui donnerais deux enfants parfaits. L'un serait un garçon. il aurait au front un croissant de lune. L'autre serait fille et sa chevelure serait comme un ciel étoilé.
Ces paroles émurent grandement le roi. A l'aube il revint rêveur au palais. Il fit appeler l'aînée des trois sœurs.
_ Saurais-tu tisser ce tapis superbe ?
_ Sire, assurément.
Le roi l'épousa, puis lui rappela la promesse faite. Elle répondit :
_ Sire, je suis reine, et point tisserande. Moi, tordre le fil ? Demandez à d'autres.
Le roi la chassa.
_ Servante des cuisines, voilà désormais ce que tu seras.
Il fit appeler la deuxième fille.
_ Feras-tu pour moi cet abri de toile ?
_ Sire, assurément.
Le roi l'épousa. Dès le soir de ses noces il lui dit :
_ J'attends.
Elle lui répondit, ivre de parfums, d'ors et de musique :
_ Je suis riche et belle. Plus jamais, seigneur, je n'abîmerai mes mains à l'ouvrage. J'ai travaillé dur, je veux vivre doux.
Le roi dépité l'envoya rejoindre sa sœur aux fourneaux. Il fit devant lui venir la cadette.
_ Me donneras-tu ces enfants étranges que tu m'as promis ?
_ Sire, si Dieu le veut.
Le roi la combla d'amour fort et tendre. Bientôt l'épousée fut grosse d'enfant. Ses sœurs en cuisine en furent si rogneuses que leur teint jaunit.




Vint la mise au monde. Le roi ce jour-là était à la chasse. Sa femme accoucha d'un fils au front orné d'un croissant de lune et d'une fille aux cheveux pareils au ciel étoilé. Ses sœurs aussitôt vinrent en visite. L'une avait un chien caché dans sa robe, et l'autre une chienne. Elles firent des mines à la jeune mère, la félicitèrent, baisèrent son front, mais dès qu'elle fut endormie, les bougresses jalouses prirent le fils au front lunaire et sa sœur la fille étoilée, mirent à leur place le chien et la chienne, bouclèrent les enfants dans un coffre de bois, et le dos courbé dans la nuit s'en furent les jeter au fleuve.

Au petit jour, le roi s'en revint de sa chasse lointaine. Il courut à la chambre où était son épouse. Dans les berceaux jumeaux, il découvrit les bêtes. Il en fut pris de rage. Il renversa le lit, fouetta sa pauvre femme, ordonna qu'elle soit enchaînée sur la place publique avec ses deux chiots, et qu'elle soit nourrie comme le sont les chiens.

Or, au bord de la mer, vivait un vieux avec sa vieille. Ils n'avaient pour tout bien qu'une chèvre au long poil qui s'en allait trottant, le matin, toute seule, et revenait le soir, le pis gonflé de lait. De ce lait les deux vieux faisaient quelques fromages. De fromage ils vivaient tous les soirs de leur vie. Il en fut ainsi jusqu'au jour où la chèvre revint sans lait dans sa mamelle. La vieille devant elle resta perplexe un long moment. Le lendemain, même misère. Les deux époux, inquiets, se regardèrent. Quand le surlendemain la chèvre s'en revint sèche autant que la veille, le vieux fit la grimace. Il pensa : "On nous vole." Dès le matin suivant, il la suivit de loin, parmi les dunes. Il la vit disparaître entre deux buissons bas. Il s'approcha. Il vit deux nourrissons qui tétaient goulûment aux tétins de sa bête. Au front de l'un brillait le croissant de lune et les cheveux de l'autre étaient tout étoilés. Le vieux prit dans ses bras le garçon et la fille.
Il les mena chez lui. La vieille, en les voyant, joignit les mains sous le menton.
_ Ils seront nos enfants, dit-elle, toute heureuse.

Une nouvelle vie commença. Ces deux enfants étaient en vérité des enfants magnifiques. Quand le garçon pleurait, ses larmes étaient des perles. Quand la fille au matin peignait sa chevelure, de la poudre d'or tombait sur ses épaules. Après quatorze années, les deux vieux moururent. Le garçon et sa sœur, riches de perles et d'or, s'établirent dans une maison forte au bord d'un bois touffu.

Vint le jour mémorable où le garçon s'en fut poursuivre une gazelle. Vers midi, parvenu au pied d'un rocher blanc, il vit venir une troupe superbe. C'était le roi son père avec ses courtisans. Le roi vit ce garçon, vit luire sur son front le croissant de la lune. Il pensa : "Cet enfant me ressemble." Il en fut troublé à l'extrême. Il resta immobile à le regarder, puis brusquement tourna bride, revint à son palais et s'enferma dans sa chambre. Chacun s'interrogea sur son étrange peine. Les deux mauvaises sœurs entendirent bientôt le récit que partout on faisait à la Cour : le roi, dans la forêt, avait croisé la route d'un adolescent au front orné d'un croissant de lune. Les sœurs s'effrayèrent. Les deux jumeaux vivaient, voilà ce qu'elles se dirent.  Ils reviendraient un jour, tôt ou tard, les confondre.
_ Il faut les éloigner, dit l'aînée. Comment faire ?
L'autre lui répondit :
_ Déguisons-nous en vieilles. Allons rôder chez eux.
Elles allèrent donc et trouvèrent la fille seule dans sa maison. Son frère tous les jours allait à la chasse et ne rentrait que le soir.
- Tu t'ennuies, fille belle, oh, comme tu t'ennuies ! lui dirent les sorcières.
L'enfant leur répondit :
_ Peut-être, bonnes vieilles.
Elle ignorait pourtant jusqu'à ce mauvais jour ce qu'ennui voulait dire.
_ Enfant, nous savons bien ce qui manque à ta vie.
_ Et quoi donc, bonnes vieilles ?
_ La musique du cœur du monde. Elle seule pourrait t'offrir le bonheur qui te fuit sans cesse.
C'était chose introuvable. Les vieilles le savaient. Au soir, quand le garçon revint de la forêt :
_ Mon frère, dit l'enfant, l'ennui ronge mon cœur. J'aimerais tant entendre une fois dans ma vie la musique du cœur du monde !
_ Ma sœur, où la trouver ?
_ Mon frère, je l'ignore, mais je sens que sans elle je vais mourir bientôt.
Elle pleura deux jours. Au troisième matin le jeune homme sella son cheval et partit à la recherche de ce remède impalpable et secret.




Il voyagea longtemps, demanda ça et là si quelqu'un connaissait ce lieu où se cachait la musique du cœur du monde. Personne ne savait. Encore il chevaucha jusqu'au seuil d'un désert. Là il vit un vieillard sur une pierre plate. Il semblait méditer dans le manteau de sable que lui faisait le vent. Le garçon s'approcha, s'assit auprès de lui. 
_ Vieux père, lui dit-il, je cherche le chemin qui mène au cœur du monde.
_ Et que veux-tu trouver, mon fils, au cœur du monde ?
_ Vieux père, une musique.
_ Mon fils, donne du pain au pauvre que je suis.
Ils mangèrent ensemble. Quand ce fut fait :
_ Mon fils dit le vieillard, ta route est difficile et peut-être mortelle. C’est tout ce que je sais. Mais va sur ce chemin. Là-bas, à l’horizon, vit un homme de bien. Il t’aidera peut-être.
Le garçon se leva. Le vieillard le retint.
_ Attends encore, attends. A toi qui m’as donné du pain, je veux faire un cadeau. Prends ce clou. Garde-le. Il te sera utile.

Le jeune homme chevaucha jusqu’à l’horizon lointain et là contre un buisson, il vit un pauvre hère apparemment semblable au vieillard rencontré à l’orée du désert. Il lui donna du pain, de l’eau et du fromage. Ils mangèrent ensemble.
_ Mon fils, dit le vieil homme, je sais bien peu de chose. Mais j’ai là-bas un frère infiniment savant. Il vit dans une hutte au fond de la vallée. Va le voir de ma part, il t’aidera sans doute.
Le garçon se leva.
_ A toi qui m’as nourri, dit encore le vieux, je veux faire un cadeau. Prends ce couteau et que Dieu te protège.



Le jeune homme s'en fut, chemina quatre jours. Au matin du cinquième il vit deux monts brumeux. Entre eux il s'engagea dans l'étroite vallée, remonta le torrent, aperçut sur un roc une hutte bancale.  Là il mit pied à terre. Un ermite parut, vêtu de pauvre laine comme l'étaient ses frères aux deux bouts du désert. Assis devant la porte il burent et mangèrent. 
_ Mon fils, je peux t'aider, dit enfin le le vieil homme en s'essuyant la bouche. Si tu veux ramener du lieu où elle se trouve la musique du cœur du monde, tu devras traverser une plaine effrayante. Regarde, on la devine au fond de la vallée. Là sont des milliers d'hommes, tous debout, tous changés en statues par la peur qu’ils ont eue sur ce chemin terrible où ils étaient venus chercher ce que tu cherches. La peur, mon fils, voilà ton ennemie. Avance bravement parmi ces gens pierreux. Va jusqu’au puits creusé au milieu de la plaine et penche-toi sur lui. Alors appelle, sans que ta voix ne tremble, la musique du cœur du monde. Du fond du puits elle montera jusqu’à toi. Saisis-la promptement et fuis à toute bride, fuis sans te retourner, car le charme qui tient ces guerriers dans la plaine sera du coup rompu, et tous te poursuivront pour t’arracher ce qu’ils ont tant voulu. Quand ils te rejoindront jette d'abord le clou que t'a donné mon frère à l'entrée du désert. Puis jette le couteau, puis jette cette fiole d'eau que je te donne, et si Dieu veut, tu pourras te sauver. Pour l'heure, dors ici, tu as besoin de forces.
 le jeune homme dormit sur un lit d'herbes sèches. Au matin il s'en alla. Au fond de la vallée, il vit la vaste plaine, les milliers de statues. Toutes le regardèrent. Elles étaient en pierre et pourtant semblaient vivre. Il verrouilla son cœur, serra les dents, marcha. La peur lui vint dessus comme un brouillard épais. Il poussa sa monture à travers ses fumées. Alors il vit un puits. A pied il s'approcha, se pencha, murmura :
_ Musique, viens à moi.
Il entendit l'eau bruire. Un chant monta vers lui, et sur ce chant il vit une feuille petite, verte, luisante, simple. Il la prit prestement, la mit dans sa chemise.
Alors une clameur s'éleva de la plaine. Les guerriers réveillés, terribles, ferraillants, se ruèrent vers lui. Il bondit à cheval, chercha son clou dans sa besace, le lança par-dessus l'épaule. Un champ de pieux ne fer surgit derrière lui. Cent de ses poursuivants s'y trouèrent la peau. Les autres s’acharnant à grands coups d'éperons eurent tôt fait de le rejoindre. Il jeta son couteau. Un champ de longues lames surgit derrière lui. Deux cents furent tranchés, hachés, taillés en pièces. Les autres cravachant et cravachant encore levèrent leurs épées sur la croupe de son cheval. Il lança la fiole d'eau claire. Les derniers acharnés furent bientôt noyés dans le torrent furieux soudain tombé du ciel sur la plaine infinie.

Cent jours après qu'il fut parti le jeune homme parvint en vue de sa maison. Alors la feuille verte au chaud dans sa tunique lui parla à voix basse.
_ Près de ta sœur, dit-elle, sont deux vieilles sorcières. Chasse-les.
A peine rentré chez lui il les prit par le col et les jeta dehors. 
_ Maintenant, dit la feuille verte, pose-moi dans l'armoire.
Dans l'armoire il la mit, prit sa sœur par l'épaule, et tous deux regardèrent. Alors ils virent s'ouvrir une fenêtre. Une musique vint, plus simple que le ciel, plus pure que la source, plus tendre que la vie quand il fait doux le soir. Et par cette musique ils virent leur naissance, ils virent tout d'eux-mêmes, et de leur père et mère, et de la vérité.



Ils s'en allèrent à la ville du roi. Sur la place publique ils virent une femme enchaînée contre un mur. Ils s'agenouillèrent près d'elle, lavèrent son visage avec un mouchoir blanc. 
Le roi, de son balcon, leur cria rudement :
_ Passez votre chemin, cette femme est maudite !
Le jeune homme lui dit :
_ Jetez-moi donc du fer pour nourrir mon cheval !
_ Tu te moques de moi, lui répondit le roi. Depuis quand les chevaux mangent-ils des ferrailles ?
_ Sire, dit le garçon, pourquoi ne pas me croire, puisque vous avez cru qu'une femme pouvait mettre des chiens au monde ?

La lumière aussitôt illumina le roi. Fils, fille, père et mère furent bientôt ensemble avec la feuille verte au milieu, sur la table, d'où montait pour eux seuls, éblouis et muets, la musique du cœur du monde.

dimanche 11 août 2013

Saturne et la musique



En levant  la tête ce soir vers les étoiles nous pourrons peut-être distinguer Saturne, Saturne le maléfique en astrologie traditionnelle. Non sans raison car il nous bloque souvent dans nos peurs tout au long de notre vie.

Cependant, au retour du stage d'astrologie en Ardèche, dont Saturne était le sujet, ce n'est pas ce qualificatif qui me vient à l'esprit.
Durant cette semaine, toujours sous notre tilleul, et bercés par le bruit de la rivière, nous avons passé des journées agréables avec lui. Bien sûr, certains d'entre nous eurent des difficultés à comprendre, à accepter et à avancer, d'autres se sont laissés conduire par la découverte, mais nous avons tous cheminé vers une énergie qui nous a le dernier jour traversés de haut en bas.  Nous avons compris le sens de la verticalité et nous sommes repartis tranquilles et apaisés.
Là où nous ne l'aurions pas attendue, la musique nous a fait entrevoir la beauté de Saturne lorsqu'il est devenu le creuset à partir duquel le plomb peut se transformer en or en nous. 
Là où nous percevions limites, frustrations, pertes, nécessité de l'acceptation, il nous a montré joie, essence et perfection.




Ce moment hors du temps nous a permis de saisir nos limites et l'infini.
Souvenirs magnifiés ? Pas vraiment : il n'y avait pas meilleur endroit pour comprendre que, après avoir expérimenté le grand maléfique et compris son message, nous sommes aidés à devenir nous-mêmes, droits et forts, capables d'intégrer l'ombre pour devenir pleinement ce que nous pouvons être.



Et nous nous sommes promis de recommencer l'année prochaine, avec un autre sujet, mais avec autant de joie de nous retrouver et d'avancer ensemble.

dimanche 4 août 2013

Le sabre et le thé

Après les bambous, pour continuer notre voyage en Asie, et éclairer le sens de la cérémonie du thé, voici un extrait de La pierre et le sabre, de Eiji Yoshikawa, où Musashi, le héros qui cherche à devenir maître dans l'art du sabre, découvre la cérémonie du thé.
On y voit le parallèle qu'il peut faire avec son art à lui et combien  la technique est nécessaire mais insuffisante pour réussir le geste parfait et de pure beauté.

Myoshu est la mère  religieuse et âgée de Koetsu, artiste reconnu au Japon,  Musashi les rencontre par hasard dans ses pérégrinations, dans une petite maison à la campagne. Il est invité pour le thé et s'installe avec ces étrangers, qui n'ont rien avoir avec son monde. La vieille femme en le voyant arriver s'est d'ailleurs sauvée, tant il a l'air prêt à tuer tout ce qu'il rencontre. La scène raconte la rencontre entre ces deux univers.


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"Myoshu s'éloigna du feu et disposa devant eux la vaisselle pour le thé. L'on ne pouvait douter qu'elle fût parfaitement familiarisée avec cette cérémonie. Ses gestes étaient élégants bien que naturels; gracieuses, ses mains délicates. A soixante-dix ans, elle demeurait un parangon de grâce et de beauté féminines.
Musashi, gêné hors de son élément, se tenait cérémonieusement assis dans une posture semblable à celle de Koetsu. Le gâteau était un simple petit pain de lait appelé manju de Yodo, mais se trouvait joliment disposé sur une feuille verte d'une plante qui ne provenait pas du champ environnant. Musashi savait qu'il y avait toute une étiquette pour servir le thé comme pour utiliser le sabre, et, tandis qu'il observait Myoshu, il admirait la maîtrise qu'elle en possédait. La jugeant en termes d'escrime, il se disait : "Elle est parfaite ! Elle ne se découvre nulle part." Tandis qu'elle versait le thé, il sentait en elle la même compétence que chez un maître du sabre prêt à frapper. "C'est la voie, songeait-il, l'essence de l'art. Il faut l'avoir pour être parfait en n'importe quoi."
Il tourna son attention vers le bol à thé devant lui. C'était la première fois qu'on lui servait le thé de cette manière, et il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il convenait de faire ensuite. Le bol à thé le surprit car il ressemblait à un objet façonné par un enfant jouant avec de la boue. Pourtant, vu contre la couleur de ce bol, le vert profond de l'écume, à la surface du thé, était plus serein et plus éthéré que le ciel.

D'un air désespéré, il regardait Koetsu qui avait déjà mangé son gâteau et tenait son bol avec amour dans ses deux mains comme on caresserait quelque chose de chaud par une nuit glaciale. Il but le thé en deux ou trois gorgées.
_ Monsieur, commença Musashi avec hésitation, je ne suis qu'un jeune campagnard ignorant et je ne sais rien de la cérémonie du thé. Je ne suis même pas sûr de la façon dont il faut le boire.
Myoshu le gronda doucement :
_ Chut, mon cher, cela n'a aucune importance. Dans la façon de boire le thé, il ne doit rien y avoir de compliqué ni d'ésotérique. Si vous êtes un jeune campagnard, alors, buvez le comme vous le feriez à la campagne.
...

Il vida le bol de thé, et le reposa. Le thé était fort amer. Même la politesse ne pouvait l'obliger à dire qu'il était bon.
_ Une autre tasse ?
_ Non, merci, c'est tout à fait suffisant.
Qu'est-ce que ces gens-là pouvaient bien trouver de bon à ce liquide amer ? Pourquoi donc épiloguaient-ils avec autant de sérieux sur la "simplicité pure" de son arôme, et ainsi de suite ? Bien qu'il ne comprît pas, il ne pouvait arriver à considérer son hôte autrement qu'avec admiration. Après tout, réfléchissait-il, il devait y avoir dans ce thé plus que lui-même n'y avait décelé; sinon, il n'aurait pu devenir le point focal de toute une philosophie de l'esthétique et de la vie. Et de grands hommes tels que Hideyoshi et Ieyasu ne lui auraient point manifesté autant d'intérêt.
Yagyu Sekishusai, il se le rappelait, consacrait sa vieillesse à la Voie du thé, et Takuan avait lui aussi parlé de ses vertus. Les yeux baissés vers le bol à thé et le tissu qui se trouvait dessous, Musashi vit soudain la pivoine blanche du jardin de Sekishusai, et sentit de nouveau l'exaltation qu'elle lui avait donnée. Maintenant, de manière inexplicable, le bol à thé le frappait avec la même force.  Il se demanda un instant s'il avait poussé un cri.
Il tendit la main, ramassa le bol avec amour et le posa sur ses genoux. Les yeux brillants, il l'examina avec une excitation jamais éprouvée jusque-là. Tandis qu'il étudiait le fond de l'ustensile et les traces de la spatule du potier, il se rendait compte que les lignes avaient la même acuité que la tige de pivoine tranchée par Sekishusai. Ce bol sans prétention, lui aussi, était l'oeuvre d'un génie. Il révélait le contact de l'esprit, la mystérieuse intuition.

Musashi pouvait à peine respirer. Il ignorait pourquoi, mais il sentait la force du maître artisan. Elle venait à lui silencieusement mais indubitablement, car il était beaucoup plus sensible que ne l'auraient été la plupart des gens à la force cachée qui résidait là. Il caressa le bol : il ne voulait pas perdre avec lui le contact physique."


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La suite est tout aussi passionnante.
Juste une phrase encore, la réponse de Misashi à Koetsu qui lui demande ce que ce bol lui évoque :

"Le potier lui-même était aussi aiguisé qu'un sabre de Sagami. Pourtant, il a enveloppé de beauté l'objet tout entier. Ce bol à thé a l'air fort simple, mais il présente quelque chose de hautain, quelque chose de royal et d'arrogant comme si le potier ne considérait pas les autres gens comme tout à fait humains."


Ne vous fiez pas à cet extrait pour vous faire une opinion de Musashi : c'était un samouraï et la voie du sabre, en étant aussi exigeante que la voie du thé, l'a conduit à tuer nombre d'ennemis sur sa route et à être craint ou respecté par un grand nombre de gens. Sa recherche du geste juste et d'une beauté parfaite est restée gravée en moi pour longtemps. Il a terminé sa vie comme Koetsu, en écrivant... Ainsi chacun suit sa voie...

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