La dernière émission des Racines du ciel avec Fabrice Midal où il évoquait son livre : "Comment la philosophie peut nous sauver : 22 méditations décisives", m'a incitée à relire ce qu'il dit à propos de l'attention.
Ses propos sont très intéressants, d'autant plus que le manque d'attention est un des gros problèmes de notre société. En voici quelques extraits, qui m'ont interpellée.
Il nous parle de notre rapport au temps :
"Nous croyons que le rapport au temps que nous devrions avoir est de l'ordre d'une maîtrise. Il faudrait le gérer au mieux grâce à un "emploi du temps" efficace. Il faudrait s'activer toujours plus rapidement pour ne pas "perdre son temps". Or nous nous trompons. Cette course en avant nous ferme à un rapport réel au temps ainsi qu'à nous-mêmes. Le temps, comme ce moment qui vient à nous maintenant, doit être habité. Voilà la grande leçon de l'attention."
Il cite également Simone Weil, ses mots sont très forts :
"Il y a quelque chose dans notre âme qui répugne à la véritable attention beaucoup plus violemment que la chair ne répugne à la fatigue. Ce quelque chose est beaucoup plus proche du mal que de la chair. C'est pourquoi, toutes les fois qu'on fait vraiment attention, on détruit du mal en nous."
Donc ce n'est pas chose aisée que l'attention. Mais, nous dit encore Simone Weil : " L'attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité."
Faire attention, c'est pouvoir guérir le monde, complète Fabrice Midal.
Voilà de quoi nous donner à réexaminer cette question de l'attention ! Et les pages de Fabrice Midal à ce sujet sont très éclairantes.
L'émission se terminait sur les vers de Verlaine avec cette même attention au temps présent portée par la poésie :
"Rêvons, c'est l'heure.
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise
C'est l'heure exquise."
Les oeuvres de Fabienne Verdier illustrent cet article.
Je vous souhaite un très bel été et espère vous retrouver en septembre avec de nouvelles idées, de nouveaux textes et de nouvelles activités que nous nous réjouissons de vous présenter.
Pour fêter les vacances, les voyages et le repos, voici un conte venu d'Amérique, raconté par Henri Gougaud. Il nous parle du chant d'amour de la flûte : de quoi nous faire rêver par les longues journées d'été !
Le chant des flûtes
En ce temps-là les hommes blancs étaient encore sur leurs terres, au-delà des mers. En ce temps-là, les ancêtres des vieux pères peuplaient la grande prairie. Ils jouaient des sonnailles, de la corne de buffle et du tambour, aux fêtes des saisons. Ils ne connaissaient pas la flûte à bec d'oiseau.
C'était en ce temps-là que vivait le jeune homme qui inventa le langage d'amour.
Un jour, il s'en alla chasser dans la forêt. Il suivit un cerf sous le couvert des arbres. Il était bon chasseur, il avait un bel arc, des flèches aux pointes de pierre noire, mais l'animal resta sans cesse hors de portée. Trois fois il s'arrêta pour brouter du feuillage, trois fois il reprit sa course bondissante avant que le garçon ait eu le temps d'ajuster son tir. Ainsi au long du jour ils s'enfoncèrent ensemble jusqu'au cœur de la forêt, où personne n'était encore allé. Comme la nuit venait, la bête disparut. Le jeune homme voulut retourner au village, mais il était perdu. Il s'assit sous un arbre, dîna de viande sèche, puis s'enroula dans une couverture et se coucha dans l'herbe.
Il ne put dormir. De l'ombre lui venaient de longs hululements, des cris d'animaux invisibles, des grincements de branches, des menaces lointaines. Longtemps il écouta, respirant à peine. Il entendit soudain, parmi ces mille bruits nocturnes, une plainte hésitante. Le vent se leva. la vague musique se gonfla de désir, d'espoir, de joie timide. Il l'écouta encore. Il se dit que c'était peut-être un chant de fantôme amoureux. Le sommeil l'envahit. Alors il rêva qu'un pivert à crête rouge apparaissait dans la lumière de la lune, chantait au-dessus de sa tête à voix mélancolique et lui disait enfin : "Viens, je vais te l'apprendre."
Quand il se réveilla, le soleil était haut. A peine avait-il ouvert les yeux qu'il aperçut sur une branche le pivert de son rêve. L'oiseau le regarda, s'envola tout à coup, se posa sur un buisson, revint comme pour inviter le garçon à le suivre. Il se laissa conduire. Il entendit au loin la plainte douce entre les arbres. Il se mit à courir vers elle. Il arriva bientôt dans une clairière où était un cèdre solitaire. Le pivert était là, rouge dans le feuillage. La brise s'était tue, le chant aussi. Alors l'oiseau se mit à cogner du bec contre une branche creuse et cela fit, dans le silence, un bruit de petit tambour vif. Le vent revint sur les verdures et avec lui le chant, tout proche. Il était là, dans l'arbre. Le garçon s'approcha. Il découvrit alors que la musique sortait de la branche creuse que le pivert martelait. Il découvrit aussi que seul le souffle de la brise lui donnait force et vie; il examina le bout de bois. Il était plein de trous. Il le prit et s'en alla. Il retrouva sans peine le chemin du village.
Dès qu'il fut revenu parmi les siens, il s'assit devant sa tente et voulut à nouveau entendre la musique.
Il souffla dans la branche. Aucun son n'en sortit. Il resta longtemps passif, puis se dressa et s'en alla seul, sans rien dire à personne. A la nuit il grimpa parmi les rocs jusqu'à la cime d'une colline et là pria l'Esprit de lui envoyer un songe. Il attendit trois jours sans manger ni boire, espérant une vision qui lui dirait comment faire chanter la branche. A la quatrième nuit, quand la lune se leva, l'oiseau à crête rouge apparut devant lui :
_ Regarde, lui dit-il.
Le garçon regarda.
Au matin il s'en alla couper une branche de cèdre. Il y creusa un trou droit, tout du long, avec soin et patience. Enfin il la sculpta en forme de long cou avec, la tête de l'oiseau et son bec grand ouvert.
Il teinta sa crête de rouge, puis il alluma un feu de sauge. Au-dessus de ce feu il parfuma son oeuvre. A nouveau il pria. Puis il posa ses doigts sur les trous de la flûte, il souffla doucement, et le chant s'éleva, si beau que les bêtes et le vent, tout à coup apaisé, autour de lui l'écoutèrent.
Il revint au village. Sous un arbre au bord de la rivière il se mit à jouer. La fille aînée du chef dînait dans sa tente. Elle était orgueilleuse et belle. Beaucoup de jeunes hommes avaient tenté de lui plaire. Elle les avait chassés, d'un geste, en riant d'eux. Quand elle entendit le chant de la flûte, elle sortit devant sa porte. Sa tête lui dit : "Reste-là." Ses pieds lui dirent : "Va, ma fille." Elle s'en fut vers la rivière. Sa tête lui dit : "Doucement." Ses pieds lui dirent : "Vite, vite." Avant qu'elle ait compris comment, elle était devant le garçon. Sa tête lui dit "Tais-toi !". Son cœur lui dit : "Parle, ma fille." Elle parla. Elle dit :
_ Je t'aime.
Les hommes étaient timides en ce temps-là. Ils ne savaient comment rendre les filles amoureuses. Depuis, ils savent. Quand vient la bien-aimée au bord de la rivière, ils jouent de la flûte à bec d'oiseau, et leur chant dit pour eux leur lumière secrète.