J'ai découvert Fabienne Verdier il y a quelques années avec la lecture de son livre : "Passagère du silence". Elle y raconte comment elle est partie en Chine pour un voyage d'étude sur l'art de la calligraphie chinoise, comment elle y est restée au final dix ans, dix ans où elle a appris avec des maîtres chinois à saisir l'essence de la nature pour transcrire le souffle de l'univers à l'aide de ses pinceaux, dix ans d'ascèse et de vie difficile durant lesquels elle a dû lâcher prise à tout ce qu'elle connaissait.
Aujourd'hui, elle reste enfermée durant de longues années pour son travail de création, dans un grand atelier très spécial où elle utilise des pinceaux faits avec des dizaines de queues de cheval qui sont emplis de dizaines de litres d'encre : sa peinture est une danse avec ces énormes pinceaux qu'elle manie dans une inspiration qui a mûri pendant de longs mois dans la contemplation, la recherche et la méditation. Elle est passée depuis longtemps de la calligraphie à des peintures plus colorées et sans rapport avec les idéogrammes mais toujours avec le désir "d'arriver à absorber la complexité des formes de notre petite terre et d'arriver à en transmettre l'essence pour nous nourrir intérieurement".
Deux émissions m'ont permis récemment de mieux comprendre ce travail très singulier : une émission de télévision de la collection Empreintes sur France 3 qui lui était consacrée et que j'ai regardée un certain nombre de fois et une émission de radio ce dimanche : Les racines du ciel où elle a pu expliquer son travail et son lien avec une spiritualité très vivante. Ce chemin spirituel vers la création est très bien expliqué par Fabienne Verdier et en même temps, ce qui se passe lorsque l'inspiration arrive reste toujours un grand mystère.
Dans l'émission Les Racines du ciel, l'exigence intérieure d'être en vérité, en ouverture et en intégrité pour être capable de créer une esthétique nouvelle est illustrée par l'histoire de la controverse entre les Byzantins et les Chinois sur l'art de peindre. Elle est racontée par Rumî, traduit par Leïli Anvar :
Les Chinois disaient : "Nous sommes les meilleurs peintres" et les Byzantins disaient : "Non, c'est nous les meilleurs peintres".
Le roi dit donc : "Je vais trancher, chacun de vous allez peindre votre pan de mur et je dirai lesquels d'entre vous sont les meilleurs". Et donc, il donne à chacun un pan de mur en face à face, avec un rideau. Chacun est caché pendant qu'il travaille. Les Chinois demandent toutes sortes de peintures, plus précieuses les unes que les autres, du lapis-lazuli, de l'or, tout ce que le roi peut leur offrir et ils peignent donc un tableau absolument sublime.
Et pendant ce temps, les Byzantins ne demandent rien. Ils se contentent de polir le mur qui leur a été attribué. Quand les Chinois ont fini, le roi vient voir leur peinture, on enlève le voile, et le roi tombe absolument en stupéfaction devant la beauté de leur oeuvre et dit : "c'est impossible qu'on fasse mieux et probablement, vous allez gagner le concours".
A ce moment-là, on enlève le voile sur le mur des Byzantins, qui n'est rien d'autre maintenant qu'un miroir poli, et le tableau des Chinois se reflète sur le mur des Byzantins, et le roi dit : "Eh bien non, ce qu'ont fait les Byzantins est encore plus beau". Il y a en effet un ajout de lumière dans le fait que la peinture des Chinois est reflétée.
Et Rumî nous dit : " Les Byzantins, mon ami, sont les hommes de la pureté. Sans exercice, sans livre, sans artifice, ils ont poli le miroir de leur cœur, purifié de l'envie, de la cupidité, de l'avarice et de la haine.
La pureté du miroir est la pureté du cœur qui est digne de la forme infinie, cette forme sans forme, sans fin, invisible. Bien que dans l'univers cette forme ne se puisse contenir, ni au ciel, ni sur terre, ni dans la mer, car ces choses sont limitées par l'espace et le nombre, le miroir du cœur lui n'a pas de limites."
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