dimanche 3 juin 2018

Le temps... au Japon



Nous voici encore une fois au Japon, j'ai découvert en effet un très beau texte de Christian Bobin qu'il a écrit en préface à un livre de Yoko Orimo sur l'art et la spiritualité au Japon. Je ne résiste pas à vous le présenter sans attendre. Je quitterai ensuite le Japon pour quelque temps, je vous le promets...




"Le Japon est un pays ni ancien, ni moderne. Ce n'est pas un pays, mais une façon paradoxale d'apprivoiser le tigre de l'éternel en tirant ses moustaches éphémères. 
Moi, petit occidental, nouveau-né de 67 ans, je sais que les fleurs sont les temples du monde, avec leur cœur vide et la pâleur qui les change à l'automne en fantômes. Je ne sais pas d'où je le sais. Je retrouve cette illumination dans les éternuements de maître Dogen ou, non séparable, dans l'ascétique recherche de Yoko Orimo. 
La métaphysique des bébés est la seule qui ne trahisse ni la terre, ni le ciel. Elle les tripote, les agglomère entre ses fins doigts roses. L'ombre et la lumière sont sœurs jumelles. Le réel et l'irréel sont comme la fleur et la couleur de la fleur. Nos métaphysiques occidentales n'ont d'autre origine que celle d'une avidité, elle-même issue d'une angoisse infernale, d'un manque de confiance envers le vent sur les brins d'herbe. L'Occident exsangue, au bord de se dévorer lui-même, s'en va depuis quelque temps voler aux Orientaux ce qu'il croit être leur "sagesse". Dans ce pillage, il le dénature, le change en cela seulement qu'il comprend : des techniques, des recettes, des savoirs. Mais la parole incompréhensible de maître Dogen est pure intelligence : elle ne saisit rien. Elle s'enroule autour de l'inconnu comme des liserons autour d'une barrière. 
Le verre éteint les yeux d'un mort, le feu sans flamme des yeux d'un nouveau-né_ on ne peut les fixer que quelques secondes. Ces quelques secondes sont celles qui font le printemps, l'été, l'automne, l'hiver, le vrai, le faux. Ce que nous mesurons, devant celui qui est toute rigidité comme devant celui qui est toute souplesse, c'est le principe de délicatesse en quoi se déploie toute la vie. Le mort n'est plus touché par le monde, le bébé ne l'est pas encore. Tous deux sont comme des fleurs qui n'ont pas de raison d'être, qui passent, qu'il convient d'honorer avec des paroles fraîches_ celles des poètes ou des prophètes." Christian Bobin




Pour terminer, deux citations, faisant écho au texte de Christian Bobin, l'une d'un poète japonais contemporain, Kawwaï Kanjiro à propos du temps, l'autre d'un poète indien Hannyatara Prajnatara :

"Voici le présent où s'est épanoui le passé et voici le présent plein de boutons pour l'avenir."

"Une fleur éclôt et le monde se lève."




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