dimanche 20 juin 2021

L'attente

 Un joli conte, si agréable à entendre et si mélancolique !

Le voici, raconté par Henri Gougaud :

Va-t'en 

Il s'appelait Cœur-de-Torrent. C'était au temps où les grands-pères étaient encore des enfants. Cœur-de Torrent était bel homme. Beaucoup de femmes auraient aimé faire leur nid sur sa poitrine, mais lui, ce fou, ne voulait voir qu'une fille, Soleil-dans-Œil. Il la désirait. Elle, non. Chaque fois qu'il s'approchait d'elle, elle faisait un geste méchant. Elle lui disait :

_ Va-t'en, va-t'en.

Un jour, il s'en alla vraiment.

Soleil-dans-Œil se maria avec on ne sait quel chasseur. Pourquoi l'avait-elle choisi ? Ces choses-là sont mystérieuses. Elle-même ne savait pas. Pensait-elle parfois, la nuit, à celui qui l'avait aimée ?

Le fait est qu'il revint la voir. On l'aperçut un soir d'hiver parmi les rochers du rivage. Il attendit qu'il fasse noir, puis s'en fut gratter à la porte de la maison où elle vivait. Il n'eut pas à dire son nom. Avant qu'il parle, elle dit : 

_Va-t'en.

 Elle refusa de lui ouvrir. Il lui demanda sur le seuil :

_ Comment as-tu pu épouser un homme que tu n'aimes pas ? Elle ne répondit pas. Elle répéta :

_ Va-t'en.

Il l'entendit qui sanglotait. Il l'attendit toute la nuit.



Au matin, avec d'autres, il partit à la chasse. On mourait de faim au village. Le ciel était bas, il neigeait, le vent était irrespirable. Il fut le seul à revenir, un caribous sur une épaule et sur l'autre un sac de poissons. Les hommes qui l'accompagnaient s'étaient perdus dans le blizzard. Le mari de Soleil-dans- l'Œil était de ces mauvais chasseurs que la tempête avait mangés. Elle ne pleura pas, elle fut brave ou guère triste, allez savoir. Cœur-de-Torrent  fut accueilli avec du bouillon, des fourrures. La chasse l'avait épuisé. Il dormit un jour et deux nuits. Des femmes vinrent le veiller, souffler sur ses mains, son visage. Soleil-dans-l'Œil vint, elle aussi. On la vit se pencher sur lui. On l'entendit qui murmurait, à voix rauque :

_ Va-t'en, va-t'en.

Dès qu'il se réveilla, il partit, et cette fois ne revint pas.

Soleil-dans-l'Œil vécut longtemps, toute seule dans sa maison. Elle disait qu'elle y était bien, qu'lle n'avait besoin de rien d'autre que de sa soupe et de son feu, mais elle était fière, elle mentait. Le dedans des êtres est un monde plus étrange que le dehors, terre, océans, nuées, étoiles. La nuit venue elle s'asseyait sur un rocher, devant sa porte et restait là, à écouter, à l'affût, les yeux grands ouverts, jusqu'à ce qu'ils se ferment seuls et que son esprit l'abandonne. Elle fit ainsi toute sa vie.



Un soir (elle était vieille, vieille), elle entendit quelqu'un chanter dans l'air obscur. Elle se dressa, trotta dedans, se débarbouilla la figure, coiffa ses cheveux, s'habilla de sa belle robe fanée, puis elle s'en retourna dehors et fit mine de s'occuper à tresser des tendons de rennes. On chantait toujours, dans le noir. Elle pensa : "C'est une voix d'homme." Elle venait du rivage, en bas. Elle attendit, s'impatienta, prit son bâton et descendit jusqu'aux rochers au bord de l'eau. La lune jouait sur les vagues. Rien alentour que le vent frais et la rumeur de l'océan. Elle erra longtemps sur la grève, puis remonta vers sa maison. C'était un homme", se dit-elle. Elle se sentit seule et pleura.



Une des morales de cette histoire pourrait être :

"Ne cherche pas l'amour. Cherche plutôt et trouve tous les obstacles que tu as construits pour l'empêcher de vivre." Rumî


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