dimanche 21 mai 2023

Accepter le sort


Une leçon donnée par les hommes de la Grèce antique, ceux de l'Iliade et l'Odyssée. Cette leçon est traduite pour notre époque par Sylvain Tesson dans son langage si particulier !


L'homme homérique accepte son sort, c'est là sa moindre qualité. Selon Aristote, chaque animal sur la terre accomplit "sa part de beauté et de nature." De même, l'homme sur le champ de bataille, dans son jardin, dans son palais est là pour vivre son temps. Il y a l'ordre des choses, il y a la part de l'homme. Que peut-on y changer ? La belle Nausicaa, forte de la sagesse de l'âge tendre, adressera telle leçon à Ulysse : "

Etranger, qui ne sembles sans raison ni sans noblesse,

Zeus est seul à donner aux hommes le bonheur, 

aux nobles et aux gens de peu, selon son gré.

S'il t'a donné ces maux, il faut bien que tu les endures.

(Odyssée, VI, 187-190)

Mais qu'on y prenne garde ! Accepter sa part de vie ne veut pas dire se résigner, passif, aux aléas du sort. Toute l'énergie d'Ulysse ne sera-t-elle pas de retrouver sa place dans l'ordre bousculé par la folie ? Il ne s'abandonnera pas à vivre au gré des courants. Nous touchons là l'un des paradoxes de la définition de la liberté chez Homère : nous sommes en mesure de suivre une course libre dans une carte du ciel dessinée à l'avance. En d'autres termes, tel le saumon déterminé par la nécessité de remonter le flux, on est libres de nager à contre-courant d'un fleuve dont on est impuissant à changer le sens.

"Mais personne n'échappe à son destin, je l'affirme,

une fois né, aucun mortel, ni lâche, ni noble !"

Iliade (VI 488-489)

dira Hector à Andromaque. Nulle révolte dans cette affirmation. L'homme lutte, se démène, navigue au rebours des éléments, se bat, mais ne pratique pas cette activité si cartésienne, si moderne, si française : récriminer contre son sort, chercher des coupables à sa propre faillite, se défausser de ses responsabilités et barbouiller finalement un mur avec son petit pinceau pour expliquer au monde qu'il est interdit d'interdire. Cette capacité d'accueillir ce qui doit advenir rend l'homme grec fort. Fort parce que disponible.



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