mardi 9 mai 2023

Histoire d'un dieu qui s'ennuyait

Voici une histoire zen sympathique, racontée par Pascal Fauliot :



Le barouf sacré

Un moine austère fut nommé à la tête d'un important monastère dont la vaste enceinte englobait un sanctuaire shinto consacré au kami protecteur du lieu. Depuis des temps immémoriaux, on y honorait quotidiennement le dieu avec des danses rituelles au rythme des percussions. Taka-daka le barouf sacré troublait le supérieur rigoriste dans ses méditations. Lui qui avait également autorité sur l'oratoire shinto remplaça le brillant rituel quotidien par une cérémonie bouddhique beaucoup plus sobre et silencieuse. Il pensait aussi que la récitation des soutras plairait au kami puisque celui-ci s'était converti au bouddhisme afin de devenir le gardien du monastère. Et pour ne pas trop perturber l'esprit des lieux, les danses et la musique furent autorisées au cours de certaines fêtes annuelles. 

Depuis qu'on n'entendait plus les sonores percussions, résonnaient par contre des grincements et des craquements à répétition qui venaient du sanctuaire shinto. les portes bata-bata claquaient sans aucun courant d'air, les planchers, les poutres et les charpentes gishi-gishi gémissaient sans aucun coup de vent. Et les desservants du lieu avaient maintenant d'énormes difficultés à ouvrir les portes ou à les maintenir fermées. On pensa que les tengu, des esprits particulièrement farceurs, avaient élu domicile dans le temple. Le supérieur du monastère dirigea un rite d'exorcisme, sans succès. Le tapage et les gémissements continuèrent de plus belle. Le révérend se résolut alors à faire appel à une chamane. Après avoir dansé et tourné dans le sanctuaire, elle s'adossa à un pilier au paroxysme de la transe. Les yeux exorbités, le visage métamorphosé, elle ouvrit la bouche et d'une voix masculine, récita ce poème :

Le palais des dieux est joyeux

Quand les tambours résonnent

Le miroir de la sagesse reflète alors

Les danses gracieuses de déesses.


Le kami avait parlé. Le dieu était fâché de ne plus avoir ses musiques et ses danses. Il s'ennuyait. Pour lui rendre sa bonne humeur et garder sa protection, le supérieur décida à contrecœur qu'on lui servît à nouveau son divertissement quotidien.  



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour laisser un commentaire, entrez un profil : avec votre compte Google si vous en avez un, ou en anonyme ou encore avec un nom, le vôtre ou un pseudonyme.
Je lis les commentaires avant publication pour éviter les messages "toxiques" ou sans rapport avec notre association.
Merci d'avance de donner votre avis ou de partager avec nous vos idées ou découvertes.