Un conte, qui nous montre la création à l'oeuvre, avec beaucoup de poésie et de vérité. Mais aussi le monde tel que le conçoivent les Chinois.
"Un grand lettré chinois, peintre réputé, qui avait ses entrées à la cour de l'empereur, s'était mis en tête d'exécuter son chef-d'oeuvre. Pendant des mois, il avait arpenté les sentiers de la montagne à la recherche du paysage idéal. Ayant enfin trouvé un point de vue sublime, à couper le souffle, il s'était installé dans un village des alentours. Chaque jour, il grimpait à son observatoire, s'absorbait dans une profonde contemplation du panorama et retournait dans sa chaumière pour traduire sa vision sur la soie. Il s'appliquait à brosser sommets, pins, rochers, torrents, nuages, cherchant à capter l'esprit des lieux et, selon tous les principes de l'esthétisme en vogue à cette époque, à les ordonner dans une savante et subtile symbolique. Mais, à chacune de ses tentatives, il échouait à évoquer l'harmonie qui se dégageait de ce qu'il avait sous les yeux. Jour après jour, il s'escrimait avec son pinceau sans pouvoir s'approcher de la perfection qui ferait de lui un grand sous le Ciel.
Désespéré, il décida de consulter un maître chan de ses amis qui s'était retiré sur les flancs de cette montagne. Le moine était un calligraphe et un peintre estimé. Le bonze, après avoir examiné ses esquisses, déclara :
_ Ce qu'il manque dans ta peinture, c'est ce qu'il y a de trop !
Encore plus désemparé, l'artiste retourna s'asseoir dans son paysage. Il le contemplait tout en méditant la phrase du moine qui résonnait comme un koan. Il la ruminait sans relâche pour en extraire la sève. Un manque de vide, peut-être , entre les éléments, pour créer le mystère de l'espace infini où le spectateur se laisserait aller au rêve ?...
Ou bien, ses lavis n'étaient pas assez subtils, dégradés, pour évoquer la vie, les souffles, les rythmes, la danse infinie de l'énergie cosmique...
Il était tellement absorbé dans sa méditation, tellement immobile, qu'un oiseau le prit pour un rocher et vint se poser sur sa tête sans qu'il s'en aperçoive !
Ce n'est qu'au chant de l'oiseau qu'il comprit enfin. Ce qu'il y avait de trop, c'était lui-même. Le store de ses pensées se déchira. Il se vida soudain de son trop-plein de connaissances, de références, et le paysage entra en lui. Il l'emporta jusqu'à son ermitage, et là, la montagne, la rivière, les nuages, les rochers, les arbres firent danser son pinceau sur la soie blanche, pour se peindre eux-mêmes. Et ils lui laissèrent une place, modeste mais centrale. Le peintre se représenta, au cœur du tableau, petit dans l'immensité du cosmos. Lui, le miroir où se reflétait la mutation sans fin des énergies primordiales du yin et du yang dans le Vide. Lui, l'homme, mesure de toute chose, trait d'union entre le Ciel et la Terre. Lui qui avait su capter leur souffle et qui était devenu leur instrument, la flûte de bambou où chantait la mélodie secrète du monde."
"Un grand lettré chinois, peintre réputé, qui avait ses entrées à la cour de l'empereur, s'était mis en tête d'exécuter son chef-d'oeuvre. Pendant des mois, il avait arpenté les sentiers de la montagne à la recherche du paysage idéal. Ayant enfin trouvé un point de vue sublime, à couper le souffle, il s'était installé dans un village des alentours. Chaque jour, il grimpait à son observatoire, s'absorbait dans une profonde contemplation du panorama et retournait dans sa chaumière pour traduire sa vision sur la soie. Il s'appliquait à brosser sommets, pins, rochers, torrents, nuages, cherchant à capter l'esprit des lieux et, selon tous les principes de l'esthétisme en vogue à cette époque, à les ordonner dans une savante et subtile symbolique. Mais, à chacune de ses tentatives, il échouait à évoquer l'harmonie qui se dégageait de ce qu'il avait sous les yeux. Jour après jour, il s'escrimait avec son pinceau sans pouvoir s'approcher de la perfection qui ferait de lui un grand sous le Ciel.
Désespéré, il décida de consulter un maître chan de ses amis qui s'était retiré sur les flancs de cette montagne. Le moine était un calligraphe et un peintre estimé. Le bonze, après avoir examiné ses esquisses, déclara :
_ Ce qu'il manque dans ta peinture, c'est ce qu'il y a de trop !
Encore plus désemparé, l'artiste retourna s'asseoir dans son paysage. Il le contemplait tout en méditant la phrase du moine qui résonnait comme un koan. Il la ruminait sans relâche pour en extraire la sève. Un manque de vide, peut-être , entre les éléments, pour créer le mystère de l'espace infini où le spectateur se laisserait aller au rêve ?...
Ou bien, ses lavis n'étaient pas assez subtils, dégradés, pour évoquer la vie, les souffles, les rythmes, la danse infinie de l'énergie cosmique...
Il était tellement absorbé dans sa méditation, tellement immobile, qu'un oiseau le prit pour un rocher et vint se poser sur sa tête sans qu'il s'en aperçoive !
Le chant du rossignol
A fait retentir
Le silence de la montagne.
Ce n'est qu'au chant de l'oiseau qu'il comprit enfin. Ce qu'il y avait de trop, c'était lui-même. Le store de ses pensées se déchira. Il se vida soudain de son trop-plein de connaissances, de références, et le paysage entra en lui. Il l'emporta jusqu'à son ermitage, et là, la montagne, la rivière, les nuages, les rochers, les arbres firent danser son pinceau sur la soie blanche, pour se peindre eux-mêmes. Et ils lui laissèrent une place, modeste mais centrale. Le peintre se représenta, au cœur du tableau, petit dans l'immensité du cosmos. Lui, le miroir où se reflétait la mutation sans fin des énergies primordiales du yin et du yang dans le Vide. Lui, l'homme, mesure de toute chose, trait d'union entre le Ciel et la Terre. Lui qui avait su capter leur souffle et qui était devenu leur instrument, la flûte de bambou où chantait la mélodie secrète du monde."
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