La musique nous a accompagnés durant ces semaines particulières, que ce soit pour rêver, s'abandonner, partager ou simplement se laisser vivre, elle était souvent notre réconfort.
Aussi, ce conte qui nous vient de Chine pourra nous rappeler que la musique n'est belle que lorsque nous la laissons nous traverser et qu'elle parle à notre âme.
Il y avait parmi les précieuses œuvres d'art dont regorgeait la salle du Trésor impérial une cithare antique que plus personne n'osait toucher depuis longtemps. La légende raconte qu'elle fut jadis taillée dans le bois de l'arbre Kiri qui fut, en des temps immémoriaux, le roi de la forêt de Loungmen, un haut lieu d'énergie selon les maîtres du Feng Shui. Sa tête altière dialoguait avec le vent et les étoiles, ses racines profondes se nourrissaient du souffle du Dragon de la Terre. L’esprit de l'arbre était puissant et l'instrument qu'un magicien luthier des temps anciens tailla dans son bois était farouche, difficile à apprivoiser. Rares étaient les musiciens qui parvenaient à l’accorder, plus rares encore ceux qui pouvaient en tirer des sons mélodieux. Houang-ti, le mythique Empereur Jaune, fut le premier à en jouer et il composa des airs oubliés qui, dit-on, pouvaient chasser les nuages ou apporter la pluie. Dans les siècles qui suivirent, il y eut encore quelques grands maîtres de musique qui purent faire vibrer harmonieusement la cithare sacrée, comme s'ils étaient reconnus par elle. Mais, depuis plusieurs dynasties, tous ceux qui avaient essayé d'en jouer n'en avaient tiré que sons discordants et pitoyables cacophonies, signe sans doute que le temps des musiciens véritables était révolu.
Un empereur se mit en tête de se choisir un nouveau maître de musique en recourant à la cithare qu'il fit exhumer de la salle aux trésors. Il voulait savoir s'il existait quelqu'un dont l'art avait encore une once de magie ou si pareil talent n'était plus que légende d'antan. Il fit annoncer dans tout l'empire les termes du concours.
Peu de musiciens se présentèrent aux portes du palais, de peur de perdre la face devant le Fils du Ciel en personne. Et c'est à reculons que les musiciens de la Cour se soumirent à l'épreuve. Ce qu'ils redoutaient le plus se produisit effectivement: ils ne tirèrent de l'instrument que grincements, crissements, couinements qui firent défiler sur les augustes visages de l'empereur et de la Cour toute la gamme des grimaces. Les quelques maîtres de musique venus des quatre horizons de l'empire n'apportèrent pas plus de bonheur à l'assistance.
Vint alors le tour d'un musicien errant, l'un de ces baladins en guenilles qui jouaient pour les oiseaux des pinèdes, les poissons des torrents et les pèlerins dans la cour des temples. Il prit la cithare, caressa longuement la caisse de résonance comme s'il cherchait à apprivoiser un cheval rétif. D'une main, il fit vibrer chaque corde en l'effleurant, de l'autre l'accorda avec le sourire intérieur de l'amant qui contemple sa bien-aimée.
Une mélodie monta doucement, des vagues de notes cristallines s'élevèrent et s'évanouirent comme le flux et le reflux des flots sur la berge. Alors qu'on était en automne, un vent tiède se mit à souffler dans la salle. Il embauma le lieu du parfum des cerisiers en fleur. Les visages de la noble assemblée rayonnèrent d'une joie paisible. Les musiciens présents reconnurent le mode Kiao, celui du printemps. La musique s'accéléra soudain et prit la tonalité Tche. Un vent chaud fit retentir sous les poutres le chant des grillons, les pouls battirent la chamade, les corps bouillonnèrent de vie. Les dignitaires perdirent toute contenance, dodelinant de la tête et se balançant en cadence, irrésistiblement entraînés par le rythme. Certains se levèrent et se mirent à danser. La musique ralentit et s'appuya sur le ton You. Un vent glacial glissa sa complainte entre les colonnes de marbre. Des flocons de neige voltigèrent dans la salle et se mêlèrent aux larmes de la nostalgie sur les visages de la noble assemblée.
La cithare égrena ses dernières notes qui résonnèrent longtemps sous la charpente. Puis elles se fondirent peu à peu dans la vibration du silence, devenue alors étonnamment présente. Après un temps qui parut une éternité, la voix de l'empereur fit sortir l'assistance de son étrange engourdissement:
«Félicitations. Vous avez réussi là où tous ont échoué. Vous serez mon maître de musique. Dites-nous votre nom et d'où vous tenez le secret de votre art».
Le musicien errant esquissa un timide sourire et dit: «Mon nom est Peïwoh, Majesté. À mon humble avis, les autres ont échoué car ils voulaient faire entendre leurs propres musiques. Quant à moi, j'ai laissé la cithare chanter les thèmes de son choix. Et je serais incapable de dire si c'est Peïwoh qui joua de la cithare ou la cithare qui joua du Peïwoh. Grâce à cet instrument divin, je suis allé jusqu'au bout de mon rêve de musicien et je n'en ai plus besoin. C'était mon seul but en venant ici».
Il déposa la cithare au pied du trône et il franchit la grande porte laquée de rouge et d'or. Quand l'empereur sortit de sa stupéfaction, il donna des ordres pour qu'on rattrape le maître de musique qu'il s'était choisi. Mais la brume de l'automne avait englouti son ombre.
Extrait des Contes des sages taoïstes, de Pascal Fauliot, éditions du Seuil
Aussi, ce conte qui nous vient de Chine pourra nous rappeler que la musique n'est belle que lorsque nous la laissons nous traverser et qu'elle parle à notre âme.
Il y avait parmi les précieuses œuvres d'art dont regorgeait la salle du Trésor impérial une cithare antique que plus personne n'osait toucher depuis longtemps. La légende raconte qu'elle fut jadis taillée dans le bois de l'arbre Kiri qui fut, en des temps immémoriaux, le roi de la forêt de Loungmen, un haut lieu d'énergie selon les maîtres du Feng Shui. Sa tête altière dialoguait avec le vent et les étoiles, ses racines profondes se nourrissaient du souffle du Dragon de la Terre. L’esprit de l'arbre était puissant et l'instrument qu'un magicien luthier des temps anciens tailla dans son bois était farouche, difficile à apprivoiser. Rares étaient les musiciens qui parvenaient à l’accorder, plus rares encore ceux qui pouvaient en tirer des sons mélodieux. Houang-ti, le mythique Empereur Jaune, fut le premier à en jouer et il composa des airs oubliés qui, dit-on, pouvaient chasser les nuages ou apporter la pluie. Dans les siècles qui suivirent, il y eut encore quelques grands maîtres de musique qui purent faire vibrer harmonieusement la cithare sacrée, comme s'ils étaient reconnus par elle. Mais, depuis plusieurs dynasties, tous ceux qui avaient essayé d'en jouer n'en avaient tiré que sons discordants et pitoyables cacophonies, signe sans doute que le temps des musiciens véritables était révolu.
Un empereur se mit en tête de se choisir un nouveau maître de musique en recourant à la cithare qu'il fit exhumer de la salle aux trésors. Il voulait savoir s'il existait quelqu'un dont l'art avait encore une once de magie ou si pareil talent n'était plus que légende d'antan. Il fit annoncer dans tout l'empire les termes du concours.
Peu de musiciens se présentèrent aux portes du palais, de peur de perdre la face devant le Fils du Ciel en personne. Et c'est à reculons que les musiciens de la Cour se soumirent à l'épreuve. Ce qu'ils redoutaient le plus se produisit effectivement: ils ne tirèrent de l'instrument que grincements, crissements, couinements qui firent défiler sur les augustes visages de l'empereur et de la Cour toute la gamme des grimaces. Les quelques maîtres de musique venus des quatre horizons de l'empire n'apportèrent pas plus de bonheur à l'assistance.
Vint alors le tour d'un musicien errant, l'un de ces baladins en guenilles qui jouaient pour les oiseaux des pinèdes, les poissons des torrents et les pèlerins dans la cour des temples. Il prit la cithare, caressa longuement la caisse de résonance comme s'il cherchait à apprivoiser un cheval rétif. D'une main, il fit vibrer chaque corde en l'effleurant, de l'autre l'accorda avec le sourire intérieur de l'amant qui contemple sa bien-aimée.
Une mélodie monta doucement, des vagues de notes cristallines s'élevèrent et s'évanouirent comme le flux et le reflux des flots sur la berge. Alors qu'on était en automne, un vent tiède se mit à souffler dans la salle. Il embauma le lieu du parfum des cerisiers en fleur. Les visages de la noble assemblée rayonnèrent d'une joie paisible. Les musiciens présents reconnurent le mode Kiao, celui du printemps. La musique s'accéléra soudain et prit la tonalité Tche. Un vent chaud fit retentir sous les poutres le chant des grillons, les pouls battirent la chamade, les corps bouillonnèrent de vie. Les dignitaires perdirent toute contenance, dodelinant de la tête et se balançant en cadence, irrésistiblement entraînés par le rythme. Certains se levèrent et se mirent à danser. La musique ralentit et s'appuya sur le ton You. Un vent glacial glissa sa complainte entre les colonnes de marbre. Des flocons de neige voltigèrent dans la salle et se mêlèrent aux larmes de la nostalgie sur les visages de la noble assemblée.
La cithare égrena ses dernières notes qui résonnèrent longtemps sous la charpente. Puis elles se fondirent peu à peu dans la vibration du silence, devenue alors étonnamment présente. Après un temps qui parut une éternité, la voix de l'empereur fit sortir l'assistance de son étrange engourdissement:
«Félicitations. Vous avez réussi là où tous ont échoué. Vous serez mon maître de musique. Dites-nous votre nom et d'où vous tenez le secret de votre art».
Le musicien errant esquissa un timide sourire et dit: «Mon nom est Peïwoh, Majesté. À mon humble avis, les autres ont échoué car ils voulaient faire entendre leurs propres musiques. Quant à moi, j'ai laissé la cithare chanter les thèmes de son choix. Et je serais incapable de dire si c'est Peïwoh qui joua de la cithare ou la cithare qui joua du Peïwoh. Grâce à cet instrument divin, je suis allé jusqu'au bout de mon rêve de musicien et je n'en ai plus besoin. C'était mon seul but en venant ici».
Il déposa la cithare au pied du trône et il franchit la grande porte laquée de rouge et d'or. Quand l'empereur sortit de sa stupéfaction, il donna des ordres pour qu'on rattrape le maître de musique qu'il s'était choisi. Mais la brume de l'automne avait englouti son ombre.
Extrait des Contes des sages taoïstes, de Pascal Fauliot, éditions du Seuil
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