dimanche 15 janvier 2012

La fin d'un monde ?

Henri Gougaud nous enchante avec ses contes pleins de sagesse : en voici un, dont le thème est en quelque sorte d'actualité. il est extrait  du Livre des chemins, que j'ouvre régulièrement au hasard. Il m'offre toujours un sujet de réflexion, et je deviens ainsi selon le mot de Henri Gougaud "un pécheur de merveilles."




La fin du monde

C’était un devin de haut vol, guère connu, mais infaillible. On l’avait surnommé le Gland du Séculaire, car il vivait sa longue vie dans un chêne de cent ans d’âge planté à l’orée du village, derrière les derniers jardins. D’aussi loin que l’on se souvienne, il ne s’était jamais trompé. Toutes ses prophéties s’étaient révélées vraies. Si bien que le jour de printemps où il convoqua sous son arbre tous les habitants du pays, nul ne douta que le vieux Gland avait du grave à révéler.
_ Mes enfants, dit-il, c’est bien simple. Mon ange familier, qui n’a jamais menti, m’a prévenu la nuit dernière que le soleil, demain, ne se lèverait pas. La fin du monde est imminente. Elle est pour le prochain matin. Que chacun fasse ce qu’il veut de ce jour qui lui reste à vivre. Pour ma part, je vous salue bien.
Il s’enferma dans son feuillage. On l’appela, le supplia de dire encore quelque chose. Etait-ce vraiment sans espoir ? L’ange ne pouvait-il rien faire ? Il ne daigna pas revenir au seuil de sa hutte de branches. On s’en retourna le front bas.
On s’enferma chacun chez soi, on pleurnicha, on s’étreignit, on déchira des testaments, on se fit des serments d’amour qui n’engageaient plus à grand-chose. Le soir venu (que faire d’autre ?) on se réunit à l’auberge, on se serra devant le feu. On se réveilla la mémoire, on s’éblouit et l’on s’émut, puis les paroles, peu à peu, se firent lentes, murmurantes, on laissa aller les paupières, on bailla et l’on s’endormit.
Les premiers à se réveiller frottèrent leurs yeux, s’étonnèrent. Le soleil, entre les volets, glissait un œil illuminant. On sortit dans le matin neuf. La journée s’annonçait superbe.
_ Et notre fin du monde, alors ? dit un vieillard scandalisé.
_ Une peur pareille, pour rien ! glapit une grosse commère. Ce brigand s’est moqué de nous !
On voulut des explications. On courut au nid du devin. On le trouva couché sur l’herbe au pied du chêne centenaire. On se pencha sur son vieux corps.
_ Il ne s’est pas vraiment trompé, dit le médecin du village.
Il avait en effet connu sa propre fin en ce bas monde. Il avait trépassé à l’aube d’un endormissement du cœur.



Une conclusion à propos de la sagesse du conte : 

"En réalité, on s’acharne à devenir un parfait acteur plutôt qu’un homme véritable." (Chögyam Trungpa)





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