dimanche 16 mars 2014

Un haïku très réussi



Les haïkus sont ces petits poèmes japonais censés renfermer dans leurs dix-sept syllabes, toute l'essence du moment présent, de l'émotion de l'instant et du temps qui passe. S'ils paraissent très simples et semblent représenter le ressenti d'un moment, ils sont en réalité longuement mûris. Le poète cherche à retrouver le souffle du moment et à exprimer l'énergie exacte dans son jaillissement. Voici donc une histoire qui s'y rapporte et qui montre que l'exercice n'a rien de simple et qu'il faut toute la richesse intérieure des maîtres pour arriver au parfait haïku.




Bashô, l'incomparable orfèvre du haïku, avait passé tout l'hiver dans son "ermitage au bananier", d'où il tirait son nom de plume.
Au printemps, Butchô, son maître zen, vint lui rendre visite. Après les salutations d'usage et un bol de thé, le moine et son disciple firent quelques pas dans l'allée pour aller s'asseoir sur des pierres moussues, au bord du miroir d'un étang où le bleu infini du ciel semblait surgir de la terre. Ils restèrent muets un moment, contemplant les kerries en fleurs, immergés dans une paix profonde qu'aucun souffle de vent n'osait venir troubler.
Le visiteur rompit le silence pour demander :
_ Retiré dans ce paisible jardin, qu'avez-vous perçu de la Loi du Bouddha ?
_ Des feuilles sont grandes, d'autres sont petites.
_ Et aujourd'hui ?
_ Après la dernière pluie, les mousses sont encore plus vertes.
_ Et comment étaient-elles avant qu'elles ne poussent ?
A peine le moine eut-il fini de poser sa question que, pichan, une grenouille sauta dans l'étang. Bashô, le visage illuminé par un éveil soudain au mystère du Vide originel, laissa fuser ces paroles limpides :
_ Une grenouille plonge, le son dans l'eau.
Butchô esquissa un sourire, visiblement satisfait par les paroles de son disciple où résonnait l'écho de l'ultime Vérité. Il le salua et traversa le jardin paisible, flottant telle une ombre dans sa robe sombre, pour se fondre enfin dans un bosquet de bambous.




Le lendemain, quand ses disciples lui rendirent visite dans sa masure au toit de chaume, Bashô les fit asseoir au bord de l'étang. Ayant évoqué son dialogue de la veille, il leur proposa de compléter sa dernière réponse pour en faire un haïku.
L'un d'eux voulut philosopher et proposa : 
_ Troublant le silence.
_ Pas assez imagé et un peu redondant, estima le maître.
Un autre disciple crut bon d'évoquer la saison :
_ Sous les kerries en fleur.
Bashô fit la moue.
Un troisième haïkiste, voulant introduire une ambiance, s'aventura :
_ Au soleil couchant.
Le maître secoua la tête et déclara :
_ Tout cela n'ajoute rien de profond.
Puis, après un temps de méditation que personne n'osa interrompre, il récita :


                                            Un vieil étang,
                                            Une grenouille plonge.
                                            Le son de l'eau.

Tous les disciples fermèrent les yeux, hochèrent la tête, savourant l'art incomparable du prince du haïku.



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